Allocution d’ouverture

Communication de Maryse Choisy au sixième colloque de l’A.M.R. sur « La signification des rites » (9-10 janvier 1971) :

ALLOCUTION D’OUVERTURE

Pour ce sixième colloque de l’Alliance Mondiale des Religions, nous sommes heureux d’accueillir, comme chaque année, le Cardinal Jean Danielou qui est à la fois, si vous voulez bien excuser la hardiesse de ces images, la lumière, la colonne vertébrale et la dynamique de notre mouvement.
Vous savez que ce qui distingue notre Alliance Mondiale des Religions de tous les autres mouvements œcuméniques, c’est le dialogue entre théologiens et scientifiques. Nous nous réjouissons donc de la présence, cette année comme les autres, du Docteur Paul Chauchard qui nous sera encore plus précieux cette année pour le thème délicat et dangereux que nous avons choisi.
Nous saluons avec joie les nouveaux venus.
D’abord Monsieur le Pasteur Lods, doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris. Un point de vue orthodoxe sera présenté par le Prince Andronikof dont le plus grand titre, à mes yeux, est son très beau livre sur
Le Sens des Fêtes, qui traite précisément les principaux aspects de notre colloque. Nous saluons aussi le Professeur Toptchibachy, qui nous donnera le point de vue de l’Islam. Le Swami Shraddhananda nous vient en droite ligne de Hardwar, ville sainte par excellence. Le Vénérable Thich Nhat Hanh, beaucoup d’entre vous le connaissent et l’admirent. Du côté laïque, ce sera une grande joie pour nous d’entendre Raymond Abellio. Son essai très husserlien La Structure absolue me paraît être le seul qui puisse réfuter avec pertinence les paradoxes de Sartre. Nous reverrons aussi avec plaisir Messieurs Raphaël Cohen pour le judaïsme et Bernard Guillemain pour la Franc-Maçonnerie, ainsi que Madeleine Berthaud, physicienne, et le Docteur Hubert Larcher qui a participé, vous le savez, à tous nos colloques.
Enfin, nous serons heureux d’entendre par la bouche de Jacques Porte le drame de la musique sacrée.
Ne nous leurrons pas. Le thème de ce jour, sous ses airs innocents, est dangereux et explosif.

I – TAO

Je regrette beaucoup que les taoïstes ne soient pas représentés ici, car c’est avec une citation du Tao Te King que je commencerai :
« C’est, le Tao perdu, que l’on parle d’efficace ;
L’efficace perdue, on a le sens humain ;
Le sens humain perdu, apparaît la Justice ;
La Justice perdue, les rites prennent la place
De la sincérité et de la bonne foi ;
Les rites ne sont que l’écorce toute frêle
Donc déjà le commencement de la querelle. »
En vingt-six vers, Lao Tseu condense la dégradation du révélé au juridique et aux rites.

2 – FORCE

A la source, il y a d’abord une force infinie. Que nous prenions le pouvoir du vir indien ou l’efficace du te chinois, la vertu est avant tout cette force (au sens de la microphysique) qui fut transmise à l’initié ou au saint. Nous saisissons enfin le sens de l’homme « point revêtu de sa robe nuptiale ». Dépourvu de ce pouvoir qui lui permet d’entrer dans le champ magnétique de la lumière, il est rejeté dans les ténèbres extérieures. Les profanes étaient « électrocutés » quand ils franchissaient le seuil du Saint des Saints. Ni Jéhovah, ni Moïse ne les punissaient. Il s’agissait d’une loi de la nature. Ils n’avaient pas pris les précautions nécessaires.

3 – EXPÉRIENCE

A la source du rite, il y a une expérience vécue par quelqu’un ou quelques-uns. Quand Saint Jean de la Croix relit les Psaumes, le Cantique des Cantiques ou certains textes patristiques, c’est pour vérifier les détails de sa propre expérience. Ce n’est pas par hasard que Mira Baï, la grande poétesse et mystique hindoue, a les mêmes mots que Sainte Thérèse d’Avila. Qu’au cours des générations cette expérience s’affadisse, soit par entropie, soit pour toute autre raison, le rite offre un ressourcement.
Ceux qui traitent les rites de superstition, comme on jette le bébé avec l’eau du bain, ressemblent à un syndicat d’aveugles, agacés d’entendre parler de jaune, de bleu, de rouge, qui décident de « démythifier les couleurs ».

4 – LANGAGE PSYCHOLOGIQUE

A condition de ne pas valoriser avec excès le psychologique, je ne vois aucun inconvénient à user du langage psychologique pour interpréter mythes et rites. Mais il reste bien entendu que le psychosomatique et l’ethnographique n’épuisent pas le sujet et que ces explications confirment mais n’infirment pas le réel métaphysique et religieux. Dans ce sens, on peut tenter le rapprochement avec les réflexes conditionnés, et dire que le mythe est le réflexe organisé à l’intérieur et le rite, le stimulus qui le déclenche.

5 – CONSERVATION DANS LE RITE

Sans doute peut-on dire que, tout comme la morale, le rite représente le deuil de Dieu.
Le deuil de Dieu ? Cela n’a de sens qu’au niveau psychologique. Dieu peut mourir pour Gustave qui a verrouillé ses portes. Gustave ne saurait tuer Dieu, même pas dans cette partie profonde de sa propre âme qui lui demeure cachée.
Au cours de fouilles en Egypte, des archéologues trouvèrent dans les tombeaux de pharaons quelques épis, conservés depuis quatre mille ans. Ils mirent les graines en terre fertile. Le blé qui poussa était digne des années de vaches grasses. Par quel miracle la vie avait-elle traversé quarante siècles de sommeil ? Il y a mieux encore. Des sels de potasse vieux de deux cents millions d’années contiennent des bactéries qui reviennent à la vie quand les cristaux sont dilués dans une eau stérile. C’est par hasard que le chimiste russe Nicolas Tchoudinov fit cette découverte. Il avait oublié dans un coin de son laboratoire une éprouvette contenant une solution de sels de potasse.
Pendant quinze siècles, les cérémonies ornent le musée de l’Eglise catholique. Lors de la Renaissance rationaliste, agressive, déjà à demi incroyante, tout le monde a oublié le sens
vécu des rites. Pourtant, de cette force que les premiers chrétiens y avaient enfermée, naissent sans autre initiation que la messe, Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse d’Avila qui peuvent rivaliser avec les plus grands Sages de l’Inde.
Ainsi toute énergie n’a pas fui les rites. Elle s’y conserve dans une sorte d’hibernation. Le cérémonial religieux est une chambre froide. Des centaines de générations vont et viennent, manient les traditions sans
en être troublées. Puis, un jour, un homme plus doué, plus réceptif est, à leur simple contact, touché par la Grâce. Exacte à la lettre, la formule ex opere operato.

6 – RITES COLLECTIFS

Pourtant les sociologues, quand ils daignent réfléchir sérieusement (mais hélas ! ils sont rarement bons philosophes), les sociologues et les ethnographes devraient saisir ce qu’il y a en plus dans les rites pour la communion collective. Les Brahmanes, si attachés à leur cérémonial, ne s’y sont pas trompés. Dans What is Hindouism ? D.S. Sarma écrit : « Le rituel a une fonction sociale et historique. Il maintient, par une tradition, une continuité vivante. Il a une fonction psychologique de décharge pour l’émotion religieuse. Il a une fonction esthétique qui n’est pas la moins importante. Il a enfin – last but no least – une fonction symbolique et mystique. Il crée l’atmosphère propice à l’élévation de l’esprit. » Selon Sarma, c’est un fait, et qui doit donner à réfléchir, que les familles et les communautés qui négligent les institutions rituelles sont exposées à perdre tout esprit religieux en une ou deux générations. Ces remarques, présentées à propos de l’hindouisme, peuvent être sans doute transposées à toute religion. Ce dernier avertissement doit en tout cas nous induire, si nous sommes soucieux de maintenir le sentiment religieux, à ne pas dédaigner les manifestations extérieures.

7 – FÊTES

Nous examinerons ici les quatre domaines importants où le rite nous enrichit et nous ressource : les fêtes, les rythmes de la croissance, les gestes efficaces et les lieux.
Sous le titre
La Signification des Fêtes, feu Charles Baudouin écrivit jadis, dans le numéro 13-14 de la revue de psychanalyse PSYCHÉ (1947), un fort bel article qui n’a guère vieilli. Après avoir cité de nombreux cas cliniques, il conclut :
« Ce que nous avons constaté en observant le retentissement des grandes fêtes dans les esprits individuels de nos patients, c’est que les symboles collectifs de la fête, par leur signification largement humaine, ont le pouvoir d’assumer, d’absorber les éléments individuels qui s’y accordent, comme par résonance. C’est une véritable « participation ». On dirait que le symbole collectif porte –prend sur son dos, dirait-on familièrement – le problème personnel et le promène dans un sens défini par la signification de la fête. Ainsi le thème de la rénovation, de la renaissance personnelle, chaque fois différent par son contenu, mais évoqué dans chaque analyse approfondie, tend à coïncider chez les différents sujets avec le thème universel de la résurrection pascale. Et le processus paraît déployer à ce moment un regain d’activation. »[1]
Ne faudrait-il pas dire des fêtes ce qu’on dit des jeux d’enfant ? Elles ont une fonction
biologique. Les fêtes sont pour l’énergie vitale des moments d’expansion. Et ces moments correspondent à un rythme cosmique.
A la base des grandes fêtes des religions d’aujourd’hui, se trouve la survivance des fêtes primitives
« naturelles ». Tout se passe comme s’il n’y avait pas seulement, des unes aux autres, cette filiation objective extérieure sur laquelle insistent les historiens, mais comme si un lien vivant les unissait dans l’inconscient prébiographique de tous les croyants. Ainsi nous venons de fêter Noël. Au XIXe siècle, les athées ricanaient : « Ha, ha ! Mythe solaire ! Solstice d’hiver ! » Aujourd’hui que nous en savons davantage, nous nous en réjouissons. Les primitifs craignaient que le soleil ne meure et ils fêtaient son retour ? Bon. Ils l’ont toujours fait. Même avant le Christ ? Tant mieux. Tenez, je suis encore plus généreuse. J’ajoute la fonction biologique.
La fête chrétienne ne s’est pas superposée
par hasard à la fête païenne. Elles sont organiquement liées. Sur ce point je brûle d’entendre le Cardinal Danielou qui m’a dit, un jour, que nous étions des Celtes païens mal convertis.
Toutes les références à la linguistique, aux cycles solaires, à la météorologie, aux rites de fertilisation de la terre, au contenu sexuel, sont vraies en elles-mêmes. Elles deviennent puériles dès qu’elles se prétendent arguments contre l’historicité. Elles ne la prouvent ni ne la détruisent. Nouvelle surdétermination, l’historicité obéit à d’autres règles. Ainsi il paraît absurde de nier qu’un saint a existé sous prétexte que sa date de naissance « colle » trop bien avec une réalité d’ordre astronomique. Du moment qu’un mythe est surdéterminé en raison directe de sa valeur, on conçoit que le surnaturel se donne les gants de réunir un maximum de réalités. Tout est possible à l’Omnipuissance, même l’existence. Un dieu doit être une réalité dynamique, une réalité intérieure, une réalité psychologique en même temps qu’une réalité météorologique, physique, cosmique. Il peut souffrir en nous et – pourquoi pas ? – souffrir sous Ponce Pilate. Il peut aussi être préfiguré, pressenti en d’autres mythes, d’autres noms, d’autres lieux, d’autres temps.

8 – LES RYTHMES DE LA CROISSANCE

Toutes les civilisations fêtent cette deuxième naissance qu’est la puberté. L’initiation au groupe est un point culminant dans le développement qui va de l’utérus au tumulus. Ce n’est pas le baptême, mais la Première Communion qui est la cérémonie la plus marquante dans l’Eglise catholique. Pour les juifs, la Bar Mitzvah se situe à treize ans. Le garçon est soumis à de longues préparations avant d’être sacré viril. Ce n’est qu’à partir de la Bar Mitzvah qu’il participera à tous les offices des hommes. Alors seulement il pourra faire partie d’un minyan, ce groupe de dix adultes que le rituel hébraïque exige pour les prières essentielles.
Peut-être est-ce chez les Africains que se découvre le rituel le plus complet pour fêter cette deuxième naissance. Il fut décrit par Marcel Griaule en France et par Ladislas Segy aux Etats-Unis. Il s’agit d’une authentique initiation de l’adolescent dans les sociétés secrètes des Anciens. Parmi les épreuves qui sondent la virilité, la circoncision figure au premier plan. Les Africains la pratiquent entre douze et quatorze ans. Ils en soulignent d’ailleurs le caractère génital. A la puberté, garçons et filles commencent une vie neuve. A cette occasion, il convient de reconnaître
officiellement la primauté de l’instinct sexuel. Les Africains n’ignorent pas qu’il existait déjà auparavant. Ces activités prépubères ne sont que des jeux. Quand s’installe l’adolescence, ils portent l’accent sur la génitalité, lui donnent un statut social.
Cependant, une autre vie ne sonne-t-elle pas le glas de l’ancienne ? Dans tous les rituels, on saisit cette mort symbolique. Chez les Bapendes du Congo Belge, le masque miniyaki représente le dépassement de l’adolescence. Dès qu’on le jette, la vieille vie meurt et l’adolescent renaît au monde des hommes. Un nouveau nom lui donne une identité nouvelle. Il a quitté sa famille. Il s’intègre à la tribu. Désormais c’est la tribu qui lui accorde aide et protection. Coupé, le « cordon d’argent » qui le liait à maman… Le père aussi est remplacé par l’anonyme Père-de-Tous, par les Anciens de la société secrète. Ce sont eux qui serviront de modèle de maturité sexuelle.
Le sacrifice d’Abraham est l’archétype de toute évolution. L’essentiel est d’accepter la mort. Alors on atteint à la plus grande vie. Savoir vivre, c’est d’abord savoir mourir. Le plus grand risque est de ne jamais rien risquer. La société secrète organise dans tous ses détails l’explosion instinctive de l’adolescent. Le drame lui permet des manifestations symboliques. L’initié les a affrontées. Il a agi librement. Puis il les a transformées en coutumes, sanctifiées par le groupe et vécues en commun. Elles ont acquis de ce fait le dynamisme des formes sociales intégrées. La cérémonie a absous les instincts interdits.
Alors l’adolescent n’est pas, comme dans nos sociétés, isolé avec ses problèmes. Il n’est pas l’unique pécheur au monde. D’autres partagent ses émotions défendues. Le caractère sacré des rituels, leur continuité avec le passé et l’avenir, sauvent l’adolescent de la solitude tragique.
Toutes les cultures ont pressenti l’importance de ce passage de l’enfant à l’homme. Tous nos contes de fées ont gardé le souvenir de l’adolescent qui doit vaincre le Géant (le Père), tuer la sorcière (la Mère terrible), traverser des épreuves et des souffrances pour épouser la belle princesse et avoir beaucoup d’enfants.
Notre Moyen Age a connu, lui aussi, l’initiation des adolescents. Le page devait apprendre le métier de chevalier auprès d’un Prince qui remplaçait le Père. Avant d’être adoubé, il devait accomplir des exploits et passer des épreuves de virilité. La veillée d’armes était le sommet d’une initiation. De cette initiation, à peine quelques vestiges abâtardis traînent encore dans nos mœurs laïques : les brimades des « bleus » à la caserne, la première visite à la maison close, et, chez les jeunes bourgeois, les saouleries des promotions aux grandes écoles. Pâles bribes dont l’esprit est perdu. Et même chez les athées, au XIXe siècle, on tient à deux rites de passage : on fait faire la première communion au « gosse » et on se fait enterrer religieusement.

9 – MOUDRAS

De même que les fêtes, les gestes rituels sont l’expression ou la recherche d’une énergie absolue.
On traduit moudras par « gestes efficaces ». Ils désignent des attitudes de mains ou de doigts. Le bouddhisme les a transportés dans toute l’Asie. Ils sont plus anciens que le Bouddha. Ils appartiennent à la tradition des tantriques, qui remonte à la civilisation de l’Indus, antérieure à l’invasion aryenne. Il existe des centaines de moudras, calculés à des intentions précises. Un traité leur a été consacré.
Vous devinez sans doute que tous ces gestes de pointes ouvertes ou fermées concernent la captation et l’émission de l’énergie cosmique.
Dans le moudra commun à tous les asanas de méditation, les paumes sont ouvertes à plat pour recevoir au maximum. Les doigts de la main droite touchent la paume de la main gauche, qui capte le mieux ; et les doigts de la main gauche, qui émettent moins, sont arrêtés par le dos de la main droite. Le pouce et l’index forment dans un cercle parfait un circuit magnétique intérieur.
Sans doute existe-t-il des moudras plus généraux. Il n’est que de regarder certaines statues du Bouddha qui envoie du bout des doigts ses forces aux autres. Ce ne sont pas des Bouddhas en méditation. Les yoguins aussi font des moudras guérisseurs et des moudras qui donnent. Je rappelle toutefois que pour donner, il faut avoir d’abord, et que c’est précisément cet « avoir d’abord » que les yoguins cherchent dans la méditation qui établit leur rapport avec le cosmos.
Tous les gestes de bénédiction par tous les prêtres du monde se font avec l’index et le médius, qui émettent l’énergie subtile. Que de moudras de captation et d’émission l’officiant accomplit pendant la messe, de puis l’
Orate fratres jusqu’au Benedicat vos ! Quel dommage que nous ayons perdu la science des premiers chrétiens ! Elle a été préservée néanmoins dans les rites, et les hommes qui sont initiés s’y retrouvent aisément. A travers l’ère des barbares qui brûlent les livres, et des tièdes qui ne les lisent pas, les rites seuls transmettent, d’inconscient à inconscient, la présence divine.
Regardez les communiants qui reviennent de la Sainte Table les mains pieusement jointes, ou, mieux encore, les bras croisés, les doigts cachés sous les aisselles. Pourquoi joignent-ils les mains ? Pourquoi cachent-il leurs doigts sous les aisselles ? Ils ne le savent pas. On l’a toujours fait ainsi. Ils font comme ont fait leurs parents. Sans doute seraient-ils fort surpris si on leur disait qu’ils conservent l’énergie du Christ puisée dans l’hostie, et que leur geste est un moudra de méditation.

10 – LIEUX SACRÉS

Le temple est un yantra. C’est une figure géométrique calculée pour former un champ de forces d’une grande puissance. C’est par sa structure que le temple condense l’énergie cosmique et la fait rayonner sur les fidèles. Il est probable que les bâtisseurs de cathédrales s’inspiraient de principes identiques. Voilà pourquoi ils ont pu transmettre jusqu’à nos jours une haute initiation. A l’origine, l’architecture fut une science sacrée.

11 – ORIENTATION

Et nous voici arrivés au point délicat : l’orientation. Les points cardinaux ont leur valeur énergétique. Pour prier, les juifs se tournent vers Jérusalem. Les musulmans, vers la Mecque. Les églises chrétiennes, qui se veulent universelles, tout comme les temples d’Asie, sont orientées vers l’est. Vers l’énergie en plein expansion du soleil naissant.
Et voici…
in cauda venenum… Je vous supplie, mon cher Cardinal, d’avoir la charité – et je sais que vous en avez – de bien vouloir m’excuser. Ne voyez dans ce que je vais dire que le scandale éprouvé par l’âme qui croit aux rites.
Depuis que le prêtre dit sa messe face aux fidèles, il est tourné vers le soleil mourant. Ai-je besoin de vous rappeler, à vous qui avez écrit de si beaux livres sur la littérature patristique, le commentaire des Pères de l’Eglise sur le baptême ? Quand on veut chasser Satan et ses pompes, on se tourne d’abord vers l’Occident et ses ténèbres. Ensuite, quand on baptise au nom du Christ, on se tourne vers la lumière de l’Orient.
Dois-je conclure que le prêtre catholique d’aujourd’hui dédie sa messe à Satan, Prince des ténèbres ?
Si j’ai osé aller jusqu’à cette hypothèse absurde, c’est pour mieux montrer l’importance du rite, qui est à sa source une technique de lumière – oserais-je employer le terme de la physique moderne de lumière cohérente ! – un accélérateur d’énergie et, en fin de compte, la recherche de l’Absolu.

[1] Baudouin va jusqu’à attribuer à la décadence des fêtes, les accidents d’auto du week-end. Il écrit : « Et que dire de ces promenades-en-famille-le-dimanche ? Elles représentent une somme de ces deux situations, et elles sont dépeintes par la plupart de nos sujets – détachés affectivement de la famille presque autant que du dimanche – comme la face d’épouvantement de l’Ennui incarné. Et que dire quand, par surcroît, l’auto s’en mêle, quand ces êtres entassés sans union dans une cage étroite où leur mauvaise humeur mutuelle mitonne et s’exaspère, ne trouvent pas, dans la vitesse même, une échappatoire suffisante, de sorte que leur inconscient est acculé à provoquer l’accident mortel pour en finir une bonne fois… Voilà ce qu’est devenue la fête d’où l’esprit de communion s’est retiré. Corruptio optimi pessima. Il est vrai que le lendemain, pour le repos et l’édification d’autres familles, la radio énonce gravement la statistique de « la route rouge », à la suite de celle de la fréquentation des trains. Car toutes les fêtes, même à ce stade de décomposition, ont encore leur rituel, leurs litanies. Cela doit nous donner, beaucoup mieux que tel chant des Martyrs de Chateaubriand, un avant-goût des rituels caricaturaux de l’Enfer. ».

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