Maryse Choisy, le Waffen SS et les chats

Les témoignages sur Maryse Choisy, quelle qu’ait été sa notoriété, sont rares.
Aussi est-il précieux d’en découvrir un nouveau, surtout quand il est porteur d’informations que nous n’avions pas.
Cette fois-ci, nous apprenons que Maryse Choisy, au début des années 50, eut pour secrétaire un ex-Waffen SS de la division Charlemagne… Ce qui nous intéresse particulièrement car il y a peut-être là une piste qui nous aiderait à mieux saisir la position de Maryse Choisy durant la Seconde Guerre Mondiale.
Dans ses mémoires, Maryse Choisy évoque très peu la période de la guerre (c’est un peu normal puisque la période qu’ils couvrent s’arrête en 1939 ; et nous regrettons d’autant plus que ne soit jamais paru le troisième tome), si ce n’est pour sous-entendre, une ou deux fois, qu’elle fut du côté de la résistance. Le passage le plus dense à ce sujet est celui-ci, p.238 :

Les procès de la Libération battaient leur plein. Fidèle aux préceptes de ma tante, j’étais restée aimable pour tout ceux qui avaient dîné chez moi au cours de ma vie. Depuis cinq ans je faisais porter régulièrement quelques victuailles à des amis emprisonnés à Fresnes. Depuis un an ce n’étaient plus les mêmes noms. Les envois hebdomadaires continuaient. Les amis avaient changé. Pour moi l’amitié est sacrée. Elle demeure au-dessus des idéologies et des opinions politiques. De 1940 à 1944 ceux qui recevaient les colis avaient été arrêtés par la Gestapo. De 1944 à 1946 les destinataires de friandises avaient été placés à Fresnes par des Fifis.

On voit cependant Maryse Choisy, durant les années 1941 et 1942, écrire dans la presse collaborationniste, notamment Le Matin et L’Œuvre, ouvertement antisémites et pro-nazis. En octobre 1942, elle participe à une exposition du Centre Français de Culture, présidé par Marcel Déat qui en fit l’une des organisations de son R.N.P. (Rassemblement National Populaire), parti aligné sur le modèle nazi, avec milices (Déat était aussi le directeur de L’Œuvre, qui était alors l’organe d’expression du R.N.P.).
Jean Galtier-Boissière, ancien du Canard enchaîné et fondateur du Crapouillot, nous en apprend plus dans Mon Journal sous l’occupation (La Jeune Parque, 1944, p. 129), à la date du 17 mai 1942 :

Maryse Choisy, l’auteur de Un mois chez les filles, écrit dans Le Pays Libre, journal d’un certain Clémenti, fasciste français à chemise de je ne sais quelle couleur :
« L’histoire s’étonnera un jour qu’un tel régime (La République) ait pu traîner si longtemps son agonie, inscrite dans sa naissance même ». Heureusement « voilà que surgit brusquement un homme de chez nous, net comme une roche du Latium, sonnant pur, avec les poumons pleins d’oxygène neuf, l’œil loyal, un grand diable d’aryen et qui s’appelait Clémenti. »
Et dire qu’Hitler a débuté de la même façon !
A la Hofbrau de Munich, en 1920, on le faisait monter sur une table pour déclamer, histoire de rire un brin, en buvant des chopes. Un Ferdinand Lop qui a réussi.

Pierre Clémenti (à ne pas confondre avec le génial acteur, pas encore né) est le fondateur du Parti Français National Collectiviste, groupuscule collaborationniste et d’un antisémitisme des plus violents, ainsi que du journal Le Pays Libre, organe du parti dans lequel on peut lire des appels à l’extermination des Juifs. Il siège au comité central de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) et part combattre, sous l’uniforme allemand, en Russie. Condamné à mort par contumace puis amnistié, on le retrouve plus tard à la direction de Nouvel Ordre Européen, d’inspiration nazie, puis comme l’un des fondateurs d’Ordre Nouveau…
Tel est l’homme que célèbre Maryse Choisy en 1942…

 

Mais revenons à son secrétaire du début des années 50.
Il s’agit de Christian de La Mazière (1922-2006), un homme au parcours étonnant.
Membre de l’armée d’armistice de 1940 à 1942, il collabore à partir de cette date au Pays Libre de Pierre Clémenti (serait-ce au sein de ce journal que Maryse Choisy et lui se sont rencontrés ?). En 1944, il s’engage dans la division Charlemagne de la Waffen-SS et part combattre, par anticommunisme, sur le front de l’est. Capturé par les Polonais en Poméranie, il sauve sa peau grâce à sa connaissance de la langue polonaise. Il est ainsi l’un des rares rescapés de la division Charlemagne. Condamné en 1946 à cinq ans de prison et à dix ans d’indignité nationale, il commence à purger sa peine à Clairvaux mais, deux ans plus tard, il est gracié par Vincent Auriol. Il entame alors une renaissance dans le journalisme. Nous pouvons dater son travail pour Maryse Choisy de 1952, l’année même où il crée une agence de relations publiques qui va l’amener à fréquenter de nombreuses stars du cinéma et du show-business, devenant l’ami de Jean Gabin, Michel Audiard, René Clair, Pierre Brasseur, etc. Durant les années 60, il est le compagnon de Juliette Gréco, puis de Dalida, durant trois ans, et même, dit-on, de Brigitte Bardot. Dans cette vidéo, on le voit aux côtés de Dalida qui se fait piéger par la caméra invisible.

 

Ainsi vit-il durant une quinzaine d’années une vie bien parisienne, paraissant avoir oublié son passé trouble quand, en 1969, il témoigne dans le documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, consacré à la France sous l’occupation, documentaire qui sera longtemps interdit de télé.

 

Le documentaire, bien qu’interdit de télévision, fait sensation et l’apparition de Christian de La Mazière provoque une réaction violente dans la presse. Son passé de SS révélé, sa carrière dans le show-business en est ruinée.
Peu de temps après la sortie du Chagrin et la Pitié, il publie un livre de souvenirs, Le Rêveur casqué (Robert Laffont, 1972), dans lequel il revient sur son engagement auprès des nazis. Le livre est un best-seller (plus de 4 millions de vente dans le monde).
Curieuse anecdote : Christian de La Mazière, qui entretient depuis 1952 une amitié avec Georges Brassens, envoie à ce dernier un exemplaire du Rêveur casqué. Quelques jours plus tard, Brassens lui téléphone pour lui apprendre que la lecture du livre lui a inspiré une chanson : Mourir pour des idées…

 

Christian de La Mazière continue cependant à faire du journalisme, notamment au Figaro magazine, au Choc du mois qu’il dirigeait et… à Minute. Il fréquente à nouveau les milieux d’extrême-droite, par exemple en écrivant pour la revue La Révolution Européenne, fondée par Jean-Gilles Malliarakis, qui dirige le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire) et Troisième Voie.
Il inspire le roman de Frédéric Vitoux, L’Ami de mon père (Seuil, 2000).
Quelque temps avant son décès, il fait paraître un second livre de mémoires, Le Rêveur blessé, duquel nous tirons ce chapitre consacré à Maryse Choisy (éditions de Fallois, 2003, pp. 46-51) :

UN CHAT DIABOLIQUE

Mon job chez BQ ne m’empêchait pas d’avoir des collaborations parallèles dans d’autres domaines. Je dormais peu, à l’époque, quelques heures me suffisaient pour récupérer. C’est ainsi que j’ai travaillé avec un Américain, un de ces quelques GIs qui, venus avec Patton, à la suite d’Overlord, avaient décidé de rester en France après la guerre. Cet Américain francophile, qui avait pour petite amie un ravissant mannequin de chez Givenchy, voulait faire carrière dans le cinéma. Il espérait y devenir réalisateur et je l’aidais à mettre au point des projets de films. Un regard français était évidemment indispensable pour éviter un tas de fausses routes et d’impasses. Je dis tout de suite que cela n’a rien donné et l’ami américain (comment diable s’appelait-il?) a échoué à se faire une place chez nous, regagnant peu après les États-Unis. En même temps que j’aidais mon Américain, j’assurais un travail d’assistant chez Maryse Choisy, avec un autre type qui avait à peu près mon âge. Nous préparions ses dossiers, rédigions des textes d’après la trame qu’elle nous indiquait.
Maryse Choisy, cela ne vous dit rien ? Au milieu du siècle dernier, c’était la moderne pythie du psychisme, au carrefour de la psychanalyse et de la spiritualité. Elle dirigeait la revue Psyché, donnait des conférences, des consultations, s’intéressait aux religions ésotériques, voyageait beaucoup. Une star. Elle m’avait raconté sa vie, tout à fait étrange. Proche des Surréalistes dont elle fréquentait les gourous, au premier rang desquels Breton évidemment, quand ce mouvement dominait l’actualité, elle était surtout la fondatrice de l’Alliance mondiale des religions. Ce côté spiritualiste explique peut-être pourquoi cette psychanalyste hors norme interrompt brusquement l’analyse qu’elle suit auprès de Freud à Vienne, ne reprenant que plus tard des séances de divan chez Lafforgue, puis chez Charles Odier. On sait que pour exercer tout psychanalyste doit lui-même avoir subi une analyse complète. Elle était loin, dans ce milieu-là, d’être un sujet orthodoxe. Sa fascination pour la vie spirituelle l’a conduite dans les années 20, très jeune encore, à se lancer à elle-même le défi de vivre plusieurs semaines parmi les moines orthodoxes grecs du Mont Athos. Comme ces religieux interdisent leur couvent à toute personne du sexe, vérifiant sévèrement, dit-on, l’identité masculine des candidats retraitants, elle n’hésita pas à se faire couper les seins et poser un pénis artificiel. Elle revendiquait tranquillement cette entreprise extravagante dont elle avait rapporté un reportage sensationnel, qui lui donna une notoriété qui devait beaucoup au scandale de cette tricherie sexuelle. Certains ont mis en doute la véracité de cette histoire, mais il était évident, en tout cas pour tous ceux qui l’approchaient, qu’elle n’avait plus de seins.
Je travaillais chez elle dans une pièce contiguë au cabinet où elle recevait ses patients. Heureusement, mes heures de présence correspondaient rarement aux séances de consultation, car la paroi n’était pas très épaisse et quand l’analysé parlait un peu fort, j’entendais à peu près tout ce qu’il disait. Je m’en plaignis.
D’abord, cela me gênait dans mon travail, ensuite, et peut-être surtout, cela compromettait la confidentialité des consultations. Maryse Choisy eut cette réponse désarmante : « Vous n’avez pas besoin d’écouter ! »
Je n’en avais certainement pas besoin, mais je ne pouvais m’empêcher d’entendre. Je me souviens d’un soir où un jeune chirurgien étendu sur le divan de Maryse débita des propos épouvantables. Ce type me parut vraiment très dérangé. Ses pulsions, ses idées avaient de quoi glacer le sang quand on songeait qu’il était chirurgien, qu’il tenait quotidiennement des gens sous son bistouri. Il était dangereux.
— C’est vrai, me dit Maryse Choisy quand je lui en parlai, il peut être dangereux. Il le sait et c’est pourquoi il vient me voir. Je vais le guérir.
Alors âgée d’une cinquantaine d’années, elle avait pour mari Maxime Clouzet qui fut, je crois, directeur général de l’Unesco, ce grand bazar culturel multi-national siégeant à Paris depuis sa création en 1949. Elle avait aussi un chat. Le mari était charmant et le chat odieux. Il est pour moi inséparable du souvenir de cette femme hors du commun, et mérite que je m’y attarde un peu. Bien qu’issu d’un milieu de châtelains, donc de chasseurs, où le chien est roi et le chat en général méprisé, voire banni, et même souvent réduit de mon temps à l’état sauvage, j’avoue être pour ma part très ami des chats. J’ai toujours admiré la grâce de ces petits félins, aimé leur compagnie, leur indépendance, leurs personnalités diverses. Cela ne va pas jusqu’à la dévotion comme chez certains écrivains, et je n’en suis pas à leur reconnaître d’extraordinaires qualités intellectuelles, une sagesse socratique ou des dons mystiques, mais j’étais et suis encore, comme les « amoureux fervents et les savants austères » du poète, l’ami du « chat puissant et doux, orgueil de la maison ». Toutefois, ce fut clair dès le début, celui de Maryse Choisy faisait exception. Naturellement, elle adorait ce chat. Ce n’était pas, il faut l’avouer un animal ordinaire. Pour l’apparence, un simple chat de gouttière, à la robe classiquement tigrée, mais un regard diabolique. S’il faut croire aux démons, sûr que l’un d’eux habitait ce chat. Il détestait tout le monde, ce greffier misanthrope, jaloux de son domaine, et vouait, en revanche, un amour exclusif, passionné, à sa maîtresse. Il n’y a que sur sa poitrine, autour de son cou, qu’il s’apaisait, s’épanouissait, connaissait le bonheur.

Elle prétendait que son chat parlait. Du moins, elle affirmait comprendre son langage, avoir avec lui de vraies conversations. De fait, il ne miaulait pas comme le commun des chats; il avait avec elle des feulements bizarrement modulés. Je ne suis pas homme à avaler semblables balivernes, mais si cela faisait plaisir à Maryse Choisy, je n’avais pas la discourtoisie d’émettre là-dessus le moindre doute.
Le matou diabolique suivait tous mes gestes de son œil fixe et méchant et ne ratait pas une occasion de me manifester son antipathie. Il compulsait régulièrement mes affaires, profitait d’une absence momentanée pour venir souiller le manuscrit sur lequel je travaillais, ou réserver le même sort à mon porte-documents, des attentions de ce genre. Il pissa un jour sur l’imperméable tout neuf que je venais d’acheter. Et puis, il me narguait, juché sur un rayon élevé de la bibliothèque, m’épiant de son regard soupçonneux. Personne, à part sa maîtresse, ne pouvait se saisir de lui. D’une part, c’eût été affronter ses griffes et sa morsure, et d’autre part, il était bien trop méfiant pour se laisser approcher.
Maryse Choisy partant pour un assez long voyage en Inde, pays dont les dieux la fascinaient, s’inquiéta un peu de mes rapports difficiles avec son démoniaque félin.
— Ne vous inquiétez pas, lui dis-je. Tout ira bien. Je pense qu’il se tiendra tranquille. Nous allons conclure un gentleman agreement.
Mais, bien entendu, le chat continua à me persécuter. Je me demandais chaque jour quel nouveau méfait il allait inventer. À malin, malin et demi ! Je feignis de l’ignorer plusieurs jours durant afin qu’il s’habitue à ma passivité et que mon manque de réaction endorme sa méfiance, et cette ruse porta ses fruits. Un bel après-midi d’été, la fenêtre étant ouverte, le chat dormait sur un canapé à quelques mètres de moi. Je m’approchai silencieusement et quand je fus à sa portée, d’un geste vif comme l’éclair, je le saisis par la peau du dos et le balançai par la fenêtre. Du deuxième étage, il atterrit dans la rue avec un miaulement sauvage. Je jetai un regard au-dehors et ne vis rien : il avait disparu. Bon débarras ! Vraiment, c’était une bonne chose de faite. Je pus désormais travailler en paix. A Maryse, je raconterais que le chat avait été pris d’un coup de folie, s’ennuyant sans doute de ne plus la voir, qu’il s’était enfui comme ça, sans laisser d’adresse. C’est d’ailleurs la version que je me mis sans tarder à accréditer.
Quand Maryse Choisy revint, Maxime Clouzet et moi allâmes l’accueillir à sa descente d’avion à Orly. Elle avait grande allure, vêtue à l’Indienne, d’un sari dont le drapé l’enveloppait très élégamment. Je lui fis du ton le plus dégagé mon conte du chat fugueur. Mais, rentrés à l’appartement, malheur! le chat était là, planté au milieu de la pièce, et dès l’apparition de Maryse Choisy, il bondit sur elle, entourant le cou de sa maîtresse de ses pattes, le museau collé à son oreille. Et commença le long feulement modulé dont cette bête avait le secret, une mélopée plaintive. Presque aussitôt, Maryse Choisy me regarda d’un air d’abord indécis, puis consterné :
— Christian! s’écria-t-elle, pourquoi avez-vous fait une chose pareille ? Le jeter par la fenêtre! Comment avez-vous pu ?
Je me défendis :
— Je vous l’ai dit : il s’est enfui, je n’y suis pour rien.
Elle secouait la tête, incrédule :
— Non, non, dit-elle, il ne ment pas. Ce n’est pas bien, Christian, ce que vous avez fait, pas bien du tout!
La situation était pour moi devenue gênante; un malaise s’était installé à cause de ce chat, reproche vivant, permanent. Dans les jours qui suivirent, je prétextai de nouvelles obligations professionnelles pour prendre congé de Maryse et interrompre la collaboration que je lui apportais. Ce n’était plus possible. Je n’ai pas cessé de la voir pour autant, lui rendant de temps à autre visite, et suis resté jusqu’au bout en amitié avec elle, comme avec son mari. Quand j’ai raconté cette histoire à Louis Nucera, il venait d’écrire un bouquin sur les chats (il en avait plein sa maison), et il me dit qu’il regrettait beaucoup de ne l’avoir pas connue plus tôt, car il aurait aimé la faire figurer dans ses récits. On peut en penser ce qu’on voudra. Pour ma part, je ne suis pas devenu beaucoup plus savant quant aux chats, mais je les considère d’un tout autre œil depuis cette expérience étrange et je suis prêt à entendre sur leur compte beaucoup plus de choses singulières.

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