Ces femmes antifemmes, par Bertrand Matot

Dès le XIXe siècle, les mouvements d’émancipation de la femme ont rencontré des ennemis acharnés, essentiellement des hommes conservateurs et réactionnaires. Mais, ce qui pourrait sembler étrange, il y eut quelques femmes antiféministes, et de plus en plus quand, dans les années vingt, survint la mode « garçonne ».
Dans un petit ouvrage passionnant – Ces femmes antifemmes – aux sources inattendues du genre (Lemieux, 2017) – Bertrand Matot nous présente quelques-unes de ces femmes, qui entre 1920 et 1940, se sont opposées à leurs consœurs féministes. Ces portraits sont accompagnés de larges extraits de leur littérature antiféministe, ainsi que de quelques réponses des émancipées.
Ainsi en est-il de Marthe Borély, nostalgique de l’Ancien Régime et proche de l’Action Française, dont les livres exposant sa théorie du « contre-féminisme » et s’opposant au droit de vote des femmes eurent un grand succès. Cécile Brunschvicg (qui deviendra la première ministre de France) et Suzanne Normand, deux militantes féministes, se sentirent obligées de lui donner la réplique.
La réactionnaire catholique Colette Yver (que tante Anna traduisit en anglais) écrivait des romans où, comme l’écrivait Simone de Beauvoir, « l’avocate, la doctoresse, finissent par sacrifier leur carrière à l’harmonie du foyer » (plus tard, plusieurs romans de Maryse Choisy insisteront sur ces mêmes dilemmes : travail ou amour ? travail ou maternité ?).
Henriette Charasson, autre admiratrice de Maurras, s’attaqua elle aussi, à travers de nombreux articles, à la question du travail de la femme : « J’ai cru autrefois au bienfait, pour la femme mariée, du travail indépendant. Je sais, depuis que j’ai été mère, que le seul travail féminin qui soit admissible, c’est le travail à la maison. »
Quand on connaît le parcours de Rachilde, qui vers 1880 demanda l’autorisation à la Préfecture de Police de porter le costume masculin et qui faisait imprimer sur ses cartes de visite « Rachilde, homme de lettres », on peut être surpris de la voir publier en 1928 un livre intitulé Pourquoi je ne suis pas féministe ? La réponse n’est finalement pas surprenante : elle affirme avoir toujours méprisé les femmes et avoir toujours regretté de ne pas être un homme. « Les femmes sont les frères inférieurs de l’homme, simplement parce qu’elles ont des misères physiques les éloignant de la suite dans les idées que peuvent concevoir tous les hommes en général, même les moins intelligents. […] Il y a des choses qu’elle ne comprend pas,  qu’elle ne comprendra jamais. Et est-ce bien utile qu’elle les comprenne ? »
L’aristocrate Valentine de Saint-Point ne prend pas non plus de pincettes dans son Manifeste de la femme futuriste : « Le Féminisme est une erreur politique. Le Féminisme est une erreur cérébrale de la femme, erreur que reconnaîtra son instinct. Il ne faut donner à la femme aucun des droits réclamés par les féministes […] »
Quant à Georgette Varenne, elle s’est essentiellement occupée de valoriser, dans le contexte pétainiste, la femme au foyer : « notre devoir social à nous, les femmes, c’est de contribuer, soit par notre vie familiale, soit par notre action sociale, à restaurer, à mieux organiser cette base de la vie sociale, cette cellule sociale qu’est la famille. »
Les antiféministes ne sont pas toutes de droite ou d’extrême-droite. Gina Lombroso, antifasciste, blâmait la masculinisation de la femme : « La femme copie l’homme, qu’elle déteste soi-disant, parce que l’homme est devenu pour elle un modèle de perfection. […] Le fait même que la femme se masculinise constitue sa défaite. »
Suzanne Nicolitch, militante socialiste, représente l’antiféminisme d’extrême gauche. Pour elle, le féminisme n’est qu’un mouvement bourgeois, « salonnard et bien pensant » et c’est sur le terrain social qu’il faudrait combattre : « Parler de féminisme sans toucher à la question des classes sociales, c’est bon pour une lectrice des Annales ou du Petit Echo de la Mode. Femmes, le problème ne vous a pas été souvent montré sous son vrai jour. Vous qui voulez vous libérer et libérer ceux qui viendront après vous, comprenez ceci : ce que vous croyez être l’esclavage du sexe n’est au fond qu’une des formes de l’esclavage d’une classe sociale. […] Femmes, ce n’est pas parce que vous êtes femmes que vous souffrez le plus du monde actuel. C’est parce que vous êtes les cellules les plus faibles d’un grand corps social mal organisé ».
Nous avons gardé pour la fin le chapitre consacré à Maryse Choisy. Bertrand Matot a choisi, pour illustrer son portrait de cette femme étonnante, de larges extraits d’une réponse qu’elle fit en 1927 à une enquête de Fernand Divoire intitulée La Femme émancipée. Réponse bien dans le ton du « suridéalisme », mouvement qu’elle lance à la même époque. Les premiers mots frappent : « Nous courons à l’émancipation comme un païen déçu vers un nouveau Dieu, comme un dilettante blasé vers une volupté inédite, comme un enfant vers un jouet inconnu. Nous revêtons la liberté comme on change de souffrance, comme on abandonne le rythme de ses joies et de ses douleurs passées avec la robe qu’on a portée au printemps, que l’on ne mettra plus, jamais plus… » Le refrain « Nous sommes devenues comme des hommes » rythme sa prose, agrémenté de phrases cinglantes : « Nous voulons à notre tour faire souffrir au lieu de souffrir », « Seulement, nous n’avouons pas que nous nous sommes trompées ». La question du travail des femmes est là aussi prédominante, qui lui fait dire : « Le féminisme n’est pas un remède efficace. C’est souvent un cercle vicieux. »

Malgré tous ces extraits qui pourraient heurter beaucoup aujourd’hui, on peut s’étonner que la plupart de ces femmes soient essentialisées sous le terme d’ « antiféministes », et bien plus encore sous celui, curieux, d’ « antifemmes ». Pour ne parler que de Maryse Choisy, tout son parcours et ses livres relèvent d’une certaine forme de féminisme, qui, certes se permet de faire des reproches à d’autres formes de féminisme, et par exemple à celui porté par celles qu’elle a nommé, avec d’autres, les « précieuses radicales ». D’ailleurs, plusieurs passages de sa réponse à l’enquête de La Femme émancipée se retrouvent, au sein de son roman Mon coeur dans une formule, dans une discussion de salon bourgeois.
Son Manifeste du suridéalisme, de cette même année 1927, est une profession de foi féministe à sa manière : « Nous sommes les femmes du prochain avion. […] Nous ne voulons plus enrôler nos gestes à d’autres gestes. Foin de la prison égalitaire ! Foin des opinions remâchées ! Foin des nivellement imposés ! Foin des préjugés ! Foin des graisses lâches qui envahissent la musculature de l’action ! Le suridéalisme nous servira à sortir de cinq siècles de matière humaine. […] Notre siècle est le siècle de la jeunesse. Mais c’est aussi le siècle de la femme. La civilisation purement masculine est un échec. A la femme de donner le ton, ce qui ne veut pas dire que nous excluons l’homme de nos chansons et de nos assemblées. Nous sommes plus généreuses, plus indulgentes. »
On voit qu’à cette époque, elle est déjà, dans ce qui relève bien du féminisme, pour la « paix des sexes », qu’elle appellera longtemps de livres en livres (cf. La Guerre des sexes).
Bref, Maryse Choisy n’est pas antiféministe, et encore moins antifemme.

Bertrand Matot, ceci dit, n’affirme pas exactement le contraire, concernant toutes ces femmes oubliées qui se sont opposées au mouvement féministe : derrière ces débats, il discerne des femmes « passionn[ées], avant tout, pour la question de l’identité sexuelle », d’où le sous-titre à son anthologie, aux sources inattendues du genre.

Douze femmes remarquables, par Marc-Alain Descamps

Dans son livre Douze femmes remarquables (Regard & Voir, 2013), Marc-Alain Descamps se propose de présenter quelques femmes rencontrées sur son long chemin de spiritualité et de pratique du yoga : de H.P. Blavatsky à Amma (Swami Amritanandamayï) en passant par Cajzoran Ali, Marie-Magdeleine Davy, Elisabeth Kübler-Ross, Lilian Silburn, etc., dont, sujet qui nous intéresse spécialement ici, Maryse Choisy.
L’auteur, « professeur de psychologie, de yoga et psychanalyste de rêve éveillé », ayant rencontré Maryse Choisy ; le livre, « version remaniée et augmentée » d’une première édition de 2006 : tout concourt à nous placer dans l’attente d’un travail sérieux.
Malheureusement, concernant Maryse Choisy, il n’en est rien et nous pouvons même affirmer que le chapitre qui lui est consacré est un désastre.
La majeure partie de ces seize pages ne paraît être qu’une prise de notes d’un cancre à partir de la lecture des mémoires de Maryse Choisy. Tout cela est bien mal résumé, sans aucun effort de style et, même, de compréhension : du simple recopiage de certains passages, sans distanciation.
Il y a pire encore : de trop nombreuses erreurs, que nous pouvons nous amuser à relever, comme nous l’avions fait pour la préface de Julia Bracher à la réédition d’Un mois chez les filles.

• « Après son rêve déçu et son deuil, en 1925, elle veut être psychanalyste […] Elle a vingt-deux ans et part en Autriche s’installer à Vienne. […] Toute sa vie elle exercera comme psychanalyste. »

Devenir psychanalyste n’est absolument pas le but de Maryse Choisy à vingt-deux ans. C’est beaucoup plus simplement pour guérir un mal-être que, sur un coup de tête, elle aurait pris le train pour rencontrer Freud : elle ne s’installe pas à Vienne, dont elle serait revenue très vite (encore une fois, il serait bon de considérer avec plus de scepticisme cette rencontre). Quant à la question de l’exercice de la psychanalyse par Maryse Choisy, il est bien mystérieux et ne concernerait que peu d’années à partir de la fin des années 40.

• « Colette est sa marraine »

Maryse Choisy n’a pas parlé de Colette comme d’une marraine littéraire, comme ce fut le cas pour Rachilde. En revanche, Colette fut la marraine, au sens religieux, de la fille de Maryse Choisy, elle-même nommée Colette.

• « Plus tous les surréalistes : Picabia, Caruzo, Paul Fort, Marinetti… »

Ces noms sont effectivement cités (moins la faute d’orthographe) dans Mes enfances. Si Maryse Choisy a croisé ces hommes, ce n’est pas, comme Marc-Alain Descamps le laisse entendre, vers 1925, mais alors qu’elle était enfant, dans le salon de sa tante Anna. On s’amuse surtout de voir ces noms hétéroclites cités sous la bannière du surréalisme…

• « Pendant ce temps, elle multiplie les revues, 1927 La Chirologie, Votre Destin, Votre Bonheur, 1935 Consolation… »

La Chirologie est un essai, non une revue de Maryse Choisy.

• « Elle y publie […] des articles de Kerneiz, de Cajzoran et de Fernand Rivoire »

C’est bien évidemment Fernand Divoire qu’il faut lire.

• « Jacques Lacan a écrit ses premiers textes dans cette revue Psyché. »

Quand Jacques Lacan rencontre pour la première fois Maryse Choisy en 1953, cela fait déjà plus de vingt ans qu’il a commencé à se faire connaître. D’autre part, il n’a jamais écrit dans Psyché.

Je m’arrête là. Il y aurait également des approximations à relever, dont certaines ont déjà été commentées quant à la préface de Julia Bracher.
Le chapitre est cependant intéressant, si l’on peut faire confiance à l’auteur sur ce point, pour les quelques souvenirs du salon de Maryse Choisy qu’il fréquentait dans les années 50.
Précisons pour finir que le chapitre également consacré à Maryse Choisy, dans un autre livre de Marc-Alain Descamps, Histoire du hatha-yoga en France, passé et présent (Almora, 2011), est la copie, mais à l’ordre des phrases réarrangé, de celui que nous venons de commenter.

François Truffaut, lecteur de Maryse Choisy

Dans le texte, que nous reproduisons ci-dessous, paru dans le magazine Arts en juin 1959, François Truffaut explique la genèse de son premier long métrage, Les Quatre Cents Coups, en citant Maryse Choisy.

JE N’AI PAS ÉCRIT MA BIOGRAPHIE EN QUATRE CENTS COUPS

Contrairement à ce qui a été souvent publié dans la presse depuis le Festival de Cannes, Les 400 coups n’est pas un film autobiographique. On ne fait pas un film tout seul et si je n’avais voulu que mettre en images mon adolescence, je n’aurais pas demandé à Marcel Moussy de venir collaborer au scénario et de rédiger les dialogues. Si le jeune Antoine Doinel ressemble parfois à l’adolescent turbulent que je fus, ses parents ne ressemblent absolument pas aux miens qui furent excellents mais beaucoup, par contre, aux familles qui s’affrontaient dans les émissions de TV « Si c’était vous ? » que Marcel Moussy écrivait pour Marcel Bluwal. Ce n’est pas seulement l’écrivain de télévision que j’admirais en Marcel Moussy, mais aussi le romancier de Sang chaud, qui est l’histoire d’un petit garçon algérien.
Dans son livre sur les problèmes sexuels de l’adolescence, Maryse Choisy raconte la curieuse expérience tentée par l’empereur Frédéric II. Il se demandait dans quelle langue s’exprimeraient des enfants qui n’auraient jamais entendu prononcer une parole. Serait-ce le latin, le grec, l’hébreu ? Il confia un certain nombre de nouveau-nés à des nourrices chargées de les nourrir et de les baigner ; il interdit rigoureusement qu’on leur parlât ou les caressât. Or tous les enfants moururent en bas âge : « Ils ne pouvaient pas vivre sans les encouragements, les mines et les attitudes amicales, sans les caresses de leurs nurses et de leurs nourrices ; c’est pourquoi on appelle magie nourricière les chansons que chante la femme en berçant l’enfant. »
C’est à l’expérience de l’empereur Frédéric que nous avons pensé en écrivant le scénario des 400 coups. Nous avons imaginé quel serait le comportement d’un enfant ayant survécu à un traitement identique, au seuil de sa treizième année, au bord de la révolte.
Antoine Doinel est le contraire d’un enfant maltraité : il n’est pas « traité » du tout. Sa mère ne l’appelle jamais par son prénom : « Mon petit, s’il te plaît, tu peux débarrasser la table » et pendant qu’il s’y emploie, son père parle de lui comme s’il n’était pas là : « Qu’est-ce qu’on va faire du gosse pendant les vacances ? ».
Enfant non désiré, Antoine à la maison ne « l’ouvre pas » ou presque, terrorisé par sa mère qu’il admire confusément ; il se rattrape dehors où il fanfaronne volontiers ; on peut supposer qu’il a un avis sur tout et que ses copains de classe le redoutent un peu puisqu’il se montre aussi persifleur et insolent qu’il est humble, sensible et sournois à la maison. La peur de sa mère l’a rendu un peu lâche avec elle, maladroitement servile, ce qui se retourne encore contre lui.
Son comportement lorsqu’il est seul est significatif : un mélange de bonnes et mauvaises actions ; il met du charbon dans le feu mais s’essuie les mains aux rideaux, prélève de l’argent sans doute volé de « sa planque » secrète, met le couvert, se sert des ustensiles de sa mère : l’appareil à recourber les cils. Il est déjà un perpétuel angoissé, puisqu’il ne sort d’une situation compliquée que pour retomber dans une autre. Enfermé dans un réseau de mensonges qui s’emboîtent, il vit dans la crainte et l’anxiété ; il est pris dans un engrenage stupide et se ferait tuer plutôt que d’avouer quoi que ce soit. Qui a volé un œuf est obligé de voler un bœuf, Antoine Doinel est un enfant difficile. Et comme disait Marcel Moussy : « Si c’était vous. ».

Précisons cependant que le passage de Maryse Choisy que cite François Truffaut n’est pas tout à fait de Maryse Choisy : c’est une citation de Salimbene de Parme, moine franciscain du XIIIe siècle, à l’intérieur d’une citation du Prof. F. Hamburger, le tout traduit, certes, par Maryse Choisy.

Ce passage de Problèmes sexuels de l’adolescence (Aubier, éditions Montaigne, collection « L’Enfant et la Vie », 1954) où Maryse Choisy évoque cette expérience de l’empereur Frédéric II, est repris à son article « Insécurité, culpabilité, péché (Aimons-nous la liberté ?) », paru dans Psyché en août 1949. L’article était suivi d’un autre qui aurait pu intéresser François Truffaut : « Les parents sont-ils nécessaires ? », du Dr René A. Spitz.

 

 

Et Maryse Choisy n’est autre qu’Alfred Jarry, parbleu !

Dans la seconde lettre de cet ouvrage des éditions du Fourneau, Christian Soulignac, répondant à Noël Arnaud, livre une fabuleuse découverte :

Revenons un moment à Machard… et à Raymonde.
Vous en arrivez, fort justement, à la conclusion que la dame n’est, elle aussi, rien de plus qu’une émanation de Jarry et vous reprenez mon énumération des titres de sa fabrique. A la lecture de votre lettre sous ce nouvel éclairage, l’un des titres me sauta aux yeux : Un mois chez les cochons. Comment alors, femme pour femme, ne pas faire le rapprochement avec celle qui écrivit : Un mois chez les hommes, Un mois chez les filles, Un mois chez les députés, qui annonçait dans les à paraître du premier de ces titres, Un mois chez les bêtes et Mon amant Casanova.
Casanova, on y revient ! Cette femme écrivain, vous l’avez reconnue, bien sûr, il s’agit de Maryse Choisy. Et Maryse Choisy n’est autre que Jarry, parbleu ! Dès lors, beaucoup d’autres choses s’expliquent. Notamment le fait que Maryse Choisy ait pu passer un mois sur le Mont Athos (sujet de son Un mois chez les hommes) qui est strictement interdit à tout ce qui est du genre féminin. […]

 

Noël Arnaud, Lettre à l’auteur de Alfred Jarry, biographie 1906-1962, pouvant servir à cette dernière de complément, éditions du Fourneau, collection « la Marguerite » (n° 9 bis), 1995, pp. 16-17.

Maryse Choisy, par Lucienne Delforge

Voici un autre témoignage sur Maryse Choisy, dans un livre justement titré Témoignages (éditions de L’Élan, 1950).
Si l’auteur était à l’époque une célébrité internationale, elle est aujourd’hui fortement oubliée, si ce n’est par les historiens de la Collaboration et les biographes de Louis-Ferdinand Céline…
Lucienne Delforge (1909-1987) fut non seulement pianiste (élève de Vincent d’Indy), donnant en quelques années plus de quatre cents récitals à travers le monde, mais aussi conférencière et journaliste, écrivant des centaines d’articles de musique, de littérature et d’art. Elle fut aussi une grande sportive : nageuse, escrimeuse, alpiniste, capitaine de basket-ball… Notons enfin qu’elle fit des études de médecine où elle obtint quatre diplômes (chimie, physique, biologie et bactériologie).
Durant un an, en 1935-1936, elle est la maîtresse de Louis-Ferdinand Céline. Il existe quelques lettres, particulièrement émouvantes, de ce dernier à la jeune pianiste, dans lesquelles Céline l’appelle « petite fée du cristal des airs » (voir Louis-Ferdinand Céline, Lettres, Gallimard, 2009 et Lettres à des amies, in Cahiers Céline n°5, Gallimard, 1979).

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle collabore à la presse vichyssoise, donne quelques concerts à la Deutsches Haus, participe à la propagande, notamment par des conférences, par exemple celle sur « Wagner et la France », le 21 mai 1943, sous l’égide de la Société d’études germaniques… Elle rédige même pour le maréchal Pétain un rapport sur la place de la musique française dans l’Europe nouvelle.
A la Libération, Lucienne doit s’exiler au château de Sigmaringen, où elle retrouve Louis-Ferdinand. Elle y donne quelques concerts. A l’un d’eux, Lucien Rebatet fait scandale, en déclarant que Lucienne Delforge est une « pianiste musclée » qui « écrase dièses et bémols d’une poigne de boxeur ».
Autre anecdote : toujours aussi sportive, Lucienne aurait voulu entraîner, dans l’une de ses excursions en montagne, Lucette, la femme de Louis-Ferdinand, mais celui-ci ne l’aurait pas autorisée, craignant de voir sa femme précipitée dans un ravin par son ancienne maîtresse, qu’il croit jalouse…
Elle échappe à l’épuration, et Céline le signale, à sa manière, dans une lettre à Albert Paraz le 9 novembre 1948 : « Lucienne Delforge la pianiste, ô combien vendue ! et enculée — et donneuse se porte au mieux à Paris »…

Avant de découvrir le portrait de Maryse par Lucienne, on peut lire celui que Maryse fit de la pianiste dans Le Matin du 30 mai 1941.
Et voici enfin les pages (87-92) de Témoignages que Lucette consacre à Maryse :

 

MARYSE CHOISY

 

Le hasard, ou le destin, ou la Providence m’ont toujours favorisée, en me permettant de rencontrer, sur ma route, des individualités vraiment hors du commun, de celles qui laissent, dans la mémoire et dans le cœur, des traces profondes, de durables empreintes.
Mais, en pensant à Maryse Choisy, je constate qu’à une ou deux exceptions près, je n’ai pas rencontré de femmes dont le comportement moral, intellectuel ou social, épisodique ou habituel, ait le même aspect inattendu, la même valeur d’enseignement, la même rigueur d’expérience humaine, le même appareil de moyens évidents, la même puissance de suggestion et d’impression. C’est, sans doute, que les femmes, plus dociles, plus diplomates devant les nécessités de l’existence, plus souples et plus malléables, plus directement reliées à la réalité immédiate ou, simplement, plus raisonnables et raisonnées, savent mieux plier et se plier, tiennent davantage du roseau que du chêne et, plastiques avant tout, épousent plus exactement les contours de la vie, se colorent plus facilement de la couleur du temps. En un mot, qu’elles sont plus quotidiennes, au sens que prêtait à ce mot Jules Laforgue. Leurs armes, pour lutter dans le courant violent des jours, sont enveloppées, camouflées, déguisées, peintes en trompe-l’œil. Elles n’en sont, à mon sens, que plus solides et plus sûres que celles des hommes. Mais elles ne font pas éclater les cadres sous leurs coups. C’est plutôt un travail de sape intelligent et instinctif, continu et fluent, lent et pénétrant, alors que les hommes, incapables de longue patience contre eux-mêmes et les autres, se dressent, se cabrent et s’affirment par une impérieuse loi d’orgueil inné.
Cependant, de ces deux exceptions que j’ai dites, Maryse Choisy est la première et la plus nettement dessinée. J’ai commencé par ne connaître d’elle que sa réputation. Elle était assez surprenante. Elle s’exprimait, en effet, sans ambages. Ou tout bien, ou tout mal. Elle était pire, ou meilleure qu’une autre. Je n’avais encore rien lu qu’elle ait signé que, déjà, elle m’apparaissait telle que je la connaîtrais.
Il est utile de noter que la première œuvre de Maryse Choisy où je l’ai découverte littérairement, ce fut dans une vieille collection du Merle, où je fis connaissance, naguère, de la littérature contemporaine. Dans cet extraordinaire périodique, qui manque aujourd’hui à notre plaisir, Maryse Choisy a publié une série d’ « interviews imaginaires », qui précédaient celles d’André Gide et qui, je crois bien, n’ont jamais été réunies en volume. C’était une promenade nocturne au milieu des livres et des hommes et, comme Maryse a toujours eu le sens le plus aigu de l’actualité des titres, elle avait orné ces fausses confidences d’un titre essentiellement « accrocheur ». Cela, si je ne me trompe, rappelant les immortelles Une heure avec… de Frédéric Lefèvre, s’intitulait : L’heure avec… Et je n’ai oublié ni celle avec Jean Cocteau, ni celle avec Montherlant, ni celle avec Valéry. En deux cents lignes, Maryse analysait les premiers d’aujourd’hui et quelques autres, les mettait à nu, révélant leurs tics, leurs tares, leurs manies et leurs vertus avec une magnifique impudeur. C’était, déjà, de la psychanalyse et, encore, de la philosophie. Si l’on publiait ces études aujourd’hui, on en comprendrait toute l’exactitude et toute la valeur démonstrative.
Puis, comme tout le monde, j’ai lu ses livres à succès de scandale ou de vente et l’un va rarement sans l’autre. Je laisse d’en parler à de plus qualifiés qu’une musicienne.
Ensuite, ce fut son écriture. L’écriture de Maryse est vraiment caractéristique. Elle s’apparente à celle de Pierre Louÿs. L’une et l’autre ont cet aspect fleuri, ces contours dessinés, où dominent les lys. Elles sont infiniment gracieuses, parcourues d’air, ouvertes à tous les souffles de l’inspiration, arrondies par la joie. D’une élégance raffinée, hautes et larges, uniquement déliées, elles sont voluptueuses et fraîches. Écritures d’artistes et d’artistes profonds, qui vivent et ne vivent que pour les nécessités de l’art. Mais la plus féminine est celle de Pierre Louÿs. Car l’écriture de Maryse est moins appliquée, plus rapide, plus élancée, plus forte. Elle a des emportements et des colères, des expressions viriles, des lignes plus vives, plus nettes, plus dures. Elle griffe le papier plus qu’elle ne le caresse. Elle dévore la page blanche et ne laisse rien au hasard, pas plus qu’à l’inutilité. Elle attaque et possède cette virginité que sa blancheur défend. Elle s’affirme, s’impose, éclate et ne retombe pas. Elle a l’éloquence et, parfois, la grandiloquence. Elle monte sans effort et marque comme un sceau. C’est une écriture d’homme aux instincts de femme. Mais, surtout, elle est traversée d’un immense, d’un intense et irrésistible besoin de lumière. Elle est, tout entière, Maryse.
Enfin, j’ai fait la connaissance de Maryse Choisy. Et je puis dire que, la sachant déjà comme je le savais, je n’ai pas été déçue. Avec ses cheveux trompeurs, ses yeux d’odalisque, sa voix presque de petite fille ou plutôt d’adolescente en proie à la femme, avec cet art qu’elle a de dire son amitié, son affection, sa tendresse, avec cette apparence de fragilité précieuse qui l’eût fait accepter à l’Hôtel de Rambouillet, avec sa délicatesse nuancée, son sourire séduisant et son besoin d’enthousiasme, Maryse n’est pas une énigme, mais un questionnaire.
Individualiste irréductible et toute emplie d’un vœu d’altruisme, les êtres qui l’approchent et l’entourent sont ses victimes heureuses. Elle ressemble à un scalpel qui serait un éventail.
Femme de lettres, elle connaît, de son métier, les nécessités, les lois, les disciplines et n’en néglige aucune. Artisan, ouvrier de l’écriture et de l’imprimé, elle n’abdique rien de ses obligations professionnelles. Elle mène sa carrière avec une rigueur et une science, avec une continuité dans l’effort qui tiennent de la fourmi et du rouleau compresseur. Elle se glisse, sinueuse, presque trop modeste, presque trop inaperçue, puis s’impose, s’affirme et prend toute la place. Elle convainc par la grâce, conquiert par la force et domine par la volonté. C’est un admirable spectacle.
Journaliste, chroniqueur, essayiste, romancière, directrice de revues, animatrice d’individus ou de groupes, toujours en avance d’une idée et à l’avant des idées, ardente, impétueuse, violente au fond d’elle-même, lisse et suave à l’extérieur, avec un prodigieux besoin de sympathie et une indifférence superlative malgré tout, un détachement de toutes contingences et un attachement véhément à toutes les réalités, Maryse Choisy est une femme comme je n’en connais point d’autre.
Je ne parlerai pas du poète, car ses poèmes parlent pour elle. Mais il faut que je dise ce qui fait sa grandeur.
Bourrée de réactions féminines et les plus aiguës, les plus acerbes, les plus dures, son cerveau d’homme la guide, la conduit, la dirige et l’affirme. En proie sans cesse aux complexités d’un tempérament double, elle a les pieds dans la terre et la tête au ciel. Elle semble vaporeuse, éthérée, sans consistance, mais elle est charnelle, réaliste, matérielle, efficace. Elle a parcouru un cycle très déterminé. Elle a connu, successivement, les hommes, puis l’homme, puis l’âme, puis Dieu. Elle est allée de tous les signes moins à tous les signes plus. Elle a parcouru toutes les routes où sa dualité l’entraînait. Elle a violenté son corps et son âme. Elle s’est arrêtée à tous les havres et les a tous quittés, pour atteindre au seul qui vaille et demeure intact. Cerveau philosophique et lyrique, tête bien faite, elle a suivi tous les chemins de la connaissance humaine et ne les a abandonnés qu’au seuil de la Connaissance divine. Elle est morte vingt fois et vingt fois ressuscitée.
Et, pour mieux connaître, plus exactement, plus intimement, plus totalement une seule chose, la seule chose qui importe, elle a tout connu. Avide de toutes les lumières elle a atteint la Lumière. Curieuse de toutes les grâces, elle a reçu la Grâce. Elle a combattu jusqu’à la victoire d’elle-même sur elle-même. Elle a triomphé. Elle a gagné sa vie.
Et cette irrésistible soif de clarté, qui s’exprime dans toute son œuvre par ses idées comme par son style, l’a plongée dans la lumière, la seule Lumière.

Maryse Choisy, le Waffen SS et les chats

Les témoignages sur Maryse Choisy, quelle qu’ait été sa notoriété, sont rares.
Aussi est-il précieux d’en découvrir un nouveau, surtout quand il est porteur d’informations que nous n’avions pas.
Cette fois-ci, nous apprenons que Maryse Choisy, au début des années 50, eut pour secrétaire un ex-Waffen SS de la division Charlemagne… Ce qui nous intéresse particulièrement car il y a peut-être là une piste qui nous aiderait à mieux saisir la position de Maryse Choisy durant la Seconde Guerre Mondiale.
Dans ses mémoires, Maryse Choisy évoque très peu la période de la guerre (c’est un peu normal puisque la période qu’ils couvrent s’arrête en 1939 ; et nous regrettons d’autant plus que ne soit jamais paru le troisième tome), si ce n’est pour sous-entendre, une ou deux fois, qu’elle fut du côté de la résistance. Le passage le plus dense à ce sujet est celui-ci, p.238 :

Les procès de la Libération battaient leur plein. Fidèle aux préceptes de ma tante, j’étais restée aimable pour tout ceux qui avaient dîné chez moi au cours de ma vie. Depuis cinq ans je faisais porter régulièrement quelques victuailles à des amis emprisonnés à Fresnes. Depuis un an ce n’étaient plus les mêmes noms. Les envois hebdomadaires continuaient. Les amis avaient changé. Pour moi l’amitié est sacrée. Elle demeure au-dessus des idéologies et des opinions politiques. De 1940 à 1944 ceux qui recevaient les colis avaient été arrêtés par la Gestapo. De 1944 à 1946 les destinataires de friandises avaient été placés à Fresnes par des Fifis.

On voit cependant Maryse Choisy, durant les années 1941 et 1942, écrire dans la presse collaborationniste, notamment Le Matin et L’Œuvre, ouvertement antisémites et pro-nazis. En octobre 1942, elle participe à une exposition du Centre Français de Culture, présidé par Marcel Déat qui en fit l’une des organisations de son R.N.P. (Rassemblement National Populaire), parti aligné sur le modèle nazi, avec milices (Déat était aussi le directeur de L’Œuvre, qui était alors l’organe d’expression du R.N.P.).
Jean Galtier-Boissière, ancien du Canard enchaîné et fondateur du Crapouillot, nous en apprend plus dans Mon Journal sous l’occupation (La Jeune Parque, 1944, p. 129), à la date du 17 mai 1942 :

Maryse Choisy, l’auteur de Un mois chez les filles, écrit dans Le Pays Libre, journal d’un certain Clémenti, fasciste français à chemise de je ne sais quelle couleur :
« L’histoire s’étonnera un jour qu’un tel régime (La République) ait pu traîner si longtemps son agonie, inscrite dans sa naissance même ». Heureusement « voilà que surgit brusquement un homme de chez nous, net comme une roche du Latium, sonnant pur, avec les poumons pleins d’oxygène neuf, l’œil loyal, un grand diable d’aryen et qui s’appelait Clémenti. »
Et dire qu’Hitler a débuté de la même façon !
A la Hofbrau de Munich, en 1920, on le faisait monter sur une table pour déclamer, histoire de rire un brin, en buvant des chopes. Un Ferdinand Lop qui a réussi.

Pierre Clémenti (à ne pas confondre avec le génial acteur, pas encore né) est le fondateur du Parti Français National Collectiviste, groupuscule collaborationniste et d’un antisémitisme des plus violents, ainsi que du journal Le Pays Libre, organe du parti dans lequel on peut lire des appels à l’extermination des Juifs. Il siège au comité central de la L.V.F. (Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme) et part combattre, sous l’uniforme allemand, en Russie. Condamné à mort par contumace puis amnistié, on le retrouve plus tard à la direction de Nouvel Ordre Européen, d’inspiration nazie, puis comme l’un des fondateurs d’Ordre Nouveau…
Tel est l’homme que célèbre Maryse Choisy en 1942…

 

Mais revenons à son secrétaire du début des années 50.
Il s’agit de Christian de La Mazière (1922-2006), un homme au parcours étonnant.
Membre de l’armée d’armistice de 1940 à 1942, il collabore à partir de cette date au Pays Libre de Pierre Clémenti (serait-ce au sein de ce journal que Maryse Choisy et lui se sont rencontrés ?). En 1944, il s’engage dans la division Charlemagne de la Waffen-SS et part combattre, par anticommunisme, sur le front de l’est. Capturé par les Polonais en Poméranie, il sauve sa peau grâce à sa connaissance de la langue polonaise. Il est ainsi l’un des rares rescapés de la division Charlemagne. Condamné en 1946 à cinq ans de prison et à dix ans d’indignité nationale, il commence à purger sa peine à Clairvaux mais, deux ans plus tard, il est gracié par Vincent Auriol. Il entame alors une renaissance dans le journalisme. Nous pouvons dater son travail pour Maryse Choisy de 1952, l’année même où il crée une agence de relations publiques qui va l’amener à fréquenter de nombreuses stars du cinéma et du show-business, devenant l’ami de Jean Gabin, Michel Audiard, René Clair, Pierre Brasseur, etc. Durant les années 60, il est le compagnon de Juliette Gréco, puis de Dalida, durant trois ans, et même, dit-on, de Brigitte Bardot. Dans cette vidéo, on le voit aux côtés de Dalida qui se fait piéger par la caméra invisible.

 

Ainsi vit-il durant une quinzaine d’années une vie bien parisienne, paraissant avoir oublié son passé trouble quand, en 1969, il témoigne dans le documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, consacré à la France sous l’occupation, documentaire qui sera longtemps interdit de télé.

 

Le documentaire, bien qu’interdit de télévision, fait sensation et l’apparition de Christian de La Mazière provoque une réaction violente dans la presse. Son passé de SS révélé, sa carrière dans le show-business en est ruinée.
Peu de temps après la sortie du Chagrin et la Pitié, il publie un livre de souvenirs, Le Rêveur casqué (Robert Laffont, 1972), dans lequel il revient sur son engagement auprès des nazis. Le livre est un best-seller (plus de 4 millions de vente dans le monde).
Curieuse anecdote : Christian de La Mazière, qui entretient depuis 1952 une amitié avec Georges Brassens, envoie à ce dernier un exemplaire du Rêveur casqué. Quelques jours plus tard, Brassens lui téléphone pour lui apprendre que la lecture du livre lui a inspiré une chanson : Mourir pour des idées…

 

Christian de La Mazière continue cependant à faire du journalisme, notamment au Figaro magazine, au Choc du mois qu’il dirigeait et… à Minute. Il fréquente à nouveau les milieux d’extrême-droite, par exemple en écrivant pour la revue La Révolution Européenne, fondée par Jean-Gilles Malliarakis, qui dirige le MNR (Mouvement Nationaliste Révolutionnaire) et Troisième Voie.
Il inspire le roman de Frédéric Vitoux, L’Ami de mon père (Seuil, 2000).
Quelque temps avant son décès, il fait paraître un second livre de mémoires, Le Rêveur blessé, duquel nous tirons ce chapitre consacré à Maryse Choisy (éditions de Fallois, 2003, pp. 46-51) :

UN CHAT DIABOLIQUE

Mon job chez BQ ne m’empêchait pas d’avoir des collaborations parallèles dans d’autres domaines. Je dormais peu, à l’époque, quelques heures me suffisaient pour récupérer. C’est ainsi que j’ai travaillé avec un Américain, un de ces quelques GIs qui, venus avec Patton, à la suite d’Overlord, avaient décidé de rester en France après la guerre. Cet Américain francophile, qui avait pour petite amie un ravissant mannequin de chez Givenchy, voulait faire carrière dans le cinéma. Il espérait y devenir réalisateur et je l’aidais à mettre au point des projets de films. Un regard français était évidemment indispensable pour éviter un tas de fausses routes et d’impasses. Je dis tout de suite que cela n’a rien donné et l’ami américain (comment diable s’appelait-il?) a échoué à se faire une place chez nous, regagnant peu après les États-Unis. En même temps que j’aidais mon Américain, j’assurais un travail d’assistant chez Maryse Choisy, avec un autre type qui avait à peu près mon âge. Nous préparions ses dossiers, rédigions des textes d’après la trame qu’elle nous indiquait.
Maryse Choisy, cela ne vous dit rien ? Au milieu du siècle dernier, c’était la moderne pythie du psychisme, au carrefour de la psychanalyse et de la spiritualité. Elle dirigeait la revue Psyché, donnait des conférences, des consultations, s’intéressait aux religions ésotériques, voyageait beaucoup. Une star. Elle m’avait raconté sa vie, tout à fait étrange. Proche des Surréalistes dont elle fréquentait les gourous, au premier rang desquels Breton évidemment, quand ce mouvement dominait l’actualité, elle était surtout la fondatrice de l’Alliance mondiale des religions. Ce côté spiritualiste explique peut-être pourquoi cette psychanalyste hors norme interrompt brusquement l’analyse qu’elle suit auprès de Freud à Vienne, ne reprenant que plus tard des séances de divan chez Lafforgue, puis chez Charles Odier. On sait que pour exercer tout psychanalyste doit lui-même avoir subi une analyse complète. Elle était loin, dans ce milieu-là, d’être un sujet orthodoxe. Sa fascination pour la vie spirituelle l’a conduite dans les années 20, très jeune encore, à se lancer à elle-même le défi de vivre plusieurs semaines parmi les moines orthodoxes grecs du Mont Athos. Comme ces religieux interdisent leur couvent à toute personne du sexe, vérifiant sévèrement, dit-on, l’identité masculine des candidats retraitants, elle n’hésita pas à se faire couper les seins et poser un pénis artificiel. Elle revendiquait tranquillement cette entreprise extravagante dont elle avait rapporté un reportage sensationnel, qui lui donna une notoriété qui devait beaucoup au scandale de cette tricherie sexuelle. Certains ont mis en doute la véracité de cette histoire, mais il était évident, en tout cas pour tous ceux qui l’approchaient, qu’elle n’avait plus de seins.
Je travaillais chez elle dans une pièce contiguë au cabinet où elle recevait ses patients. Heureusement, mes heures de présence correspondaient rarement aux séances de consultation, car la paroi n’était pas très épaisse et quand l’analysé parlait un peu fort, j’entendais à peu près tout ce qu’il disait. Je m’en plaignis.
D’abord, cela me gênait dans mon travail, ensuite, et peut-être surtout, cela compromettait la confidentialité des consultations. Maryse Choisy eut cette réponse désarmante : « Vous n’avez pas besoin d’écouter ! »
Je n’en avais certainement pas besoin, mais je ne pouvais m’empêcher d’entendre. Je me souviens d’un soir où un jeune chirurgien étendu sur le divan de Maryse débita des propos épouvantables. Ce type me parut vraiment très dérangé. Ses pulsions, ses idées avaient de quoi glacer le sang quand on songeait qu’il était chirurgien, qu’il tenait quotidiennement des gens sous son bistouri. Il était dangereux.
— C’est vrai, me dit Maryse Choisy quand je lui en parlai, il peut être dangereux. Il le sait et c’est pourquoi il vient me voir. Je vais le guérir.
Alors âgée d’une cinquantaine d’années, elle avait pour mari Maxime Clouzet qui fut, je crois, directeur général de l’Unesco, ce grand bazar culturel multi-national siégeant à Paris depuis sa création en 1949. Elle avait aussi un chat. Le mari était charmant et le chat odieux. Il est pour moi inséparable du souvenir de cette femme hors du commun, et mérite que je m’y attarde un peu. Bien qu’issu d’un milieu de châtelains, donc de chasseurs, où le chien est roi et le chat en général méprisé, voire banni, et même souvent réduit de mon temps à l’état sauvage, j’avoue être pour ma part très ami des chats. J’ai toujours admiré la grâce de ces petits félins, aimé leur compagnie, leur indépendance, leurs personnalités diverses. Cela ne va pas jusqu’à la dévotion comme chez certains écrivains, et je n’en suis pas à leur reconnaître d’extraordinaires qualités intellectuelles, une sagesse socratique ou des dons mystiques, mais j’étais et suis encore, comme les « amoureux fervents et les savants austères » du poète, l’ami du « chat puissant et doux, orgueil de la maison ». Toutefois, ce fut clair dès le début, celui de Maryse Choisy faisait exception. Naturellement, elle adorait ce chat. Ce n’était pas, il faut l’avouer un animal ordinaire. Pour l’apparence, un simple chat de gouttière, à la robe classiquement tigrée, mais un regard diabolique. S’il faut croire aux démons, sûr que l’un d’eux habitait ce chat. Il détestait tout le monde, ce greffier misanthrope, jaloux de son domaine, et vouait, en revanche, un amour exclusif, passionné, à sa maîtresse. Il n’y a que sur sa poitrine, autour de son cou, qu’il s’apaisait, s’épanouissait, connaissait le bonheur.

Elle prétendait que son chat parlait. Du moins, elle affirmait comprendre son langage, avoir avec lui de vraies conversations. De fait, il ne miaulait pas comme le commun des chats; il avait avec elle des feulements bizarrement modulés. Je ne suis pas homme à avaler semblables balivernes, mais si cela faisait plaisir à Maryse Choisy, je n’avais pas la discourtoisie d’émettre là-dessus le moindre doute.
Le matou diabolique suivait tous mes gestes de son œil fixe et méchant et ne ratait pas une occasion de me manifester son antipathie. Il compulsait régulièrement mes affaires, profitait d’une absence momentanée pour venir souiller le manuscrit sur lequel je travaillais, ou réserver le même sort à mon porte-documents, des attentions de ce genre. Il pissa un jour sur l’imperméable tout neuf que je venais d’acheter. Et puis, il me narguait, juché sur un rayon élevé de la bibliothèque, m’épiant de son regard soupçonneux. Personne, à part sa maîtresse, ne pouvait se saisir de lui. D’une part, c’eût été affronter ses griffes et sa morsure, et d’autre part, il était bien trop méfiant pour se laisser approcher.
Maryse Choisy partant pour un assez long voyage en Inde, pays dont les dieux la fascinaient, s’inquiéta un peu de mes rapports difficiles avec son démoniaque félin.
— Ne vous inquiétez pas, lui dis-je. Tout ira bien. Je pense qu’il se tiendra tranquille. Nous allons conclure un gentleman agreement.
Mais, bien entendu, le chat continua à me persécuter. Je me demandais chaque jour quel nouveau méfait il allait inventer. À malin, malin et demi ! Je feignis de l’ignorer plusieurs jours durant afin qu’il s’habitue à ma passivité et que mon manque de réaction endorme sa méfiance, et cette ruse porta ses fruits. Un bel après-midi d’été, la fenêtre étant ouverte, le chat dormait sur un canapé à quelques mètres de moi. Je m’approchai silencieusement et quand je fus à sa portée, d’un geste vif comme l’éclair, je le saisis par la peau du dos et le balançai par la fenêtre. Du deuxième étage, il atterrit dans la rue avec un miaulement sauvage. Je jetai un regard au-dehors et ne vis rien : il avait disparu. Bon débarras ! Vraiment, c’était une bonne chose de faite. Je pus désormais travailler en paix. A Maryse, je raconterais que le chat avait été pris d’un coup de folie, s’ennuyant sans doute de ne plus la voir, qu’il s’était enfui comme ça, sans laisser d’adresse. C’est d’ailleurs la version que je me mis sans tarder à accréditer.
Quand Maryse Choisy revint, Maxime Clouzet et moi allâmes l’accueillir à sa descente d’avion à Orly. Elle avait grande allure, vêtue à l’Indienne, d’un sari dont le drapé l’enveloppait très élégamment. Je lui fis du ton le plus dégagé mon conte du chat fugueur. Mais, rentrés à l’appartement, malheur! le chat était là, planté au milieu de la pièce, et dès l’apparition de Maryse Choisy, il bondit sur elle, entourant le cou de sa maîtresse de ses pattes, le museau collé à son oreille. Et commença le long feulement modulé dont cette bête avait le secret, une mélopée plaintive. Presque aussitôt, Maryse Choisy me regarda d’un air d’abord indécis, puis consterné :
— Christian! s’écria-t-elle, pourquoi avez-vous fait une chose pareille ? Le jeter par la fenêtre! Comment avez-vous pu ?
Je me défendis :
— Je vous l’ai dit : il s’est enfui, je n’y suis pour rien.
Elle secouait la tête, incrédule :
— Non, non, dit-elle, il ne ment pas. Ce n’est pas bien, Christian, ce que vous avez fait, pas bien du tout!
La situation était pour moi devenue gênante; un malaise s’était installé à cause de ce chat, reproche vivant, permanent. Dans les jours qui suivirent, je prétextai de nouvelles obligations professionnelles pour prendre congé de Maryse et interrompre la collaboration que je lui apportais. Ce n’était plus possible. Je n’ai pas cessé de la voir pour autant, lui rendant de temps à autre visite, et suis resté jusqu’au bout en amitié avec elle, comme avec son mari. Quand j’ai raconté cette histoire à Louis Nucera, il venait d’écrire un bouquin sur les chats (il en avait plein sa maison), et il me dit qu’il regrettait beaucoup de ne l’avoir pas connue plus tôt, car il aurait aimé la faire figurer dans ses récits. On peut en penser ce qu’on voudra. Pour ma part, je ne suis pas devenu beaucoup plus savant quant aux chats, mais je les considère d’un tout autre œil depuis cette expérience étrange et je suis prêt à entendre sur leur compte beaucoup plus de choses singulières.

Maryse et les fantômes

En pages 228-234 du second tome de ses mémoires, Maryse Choisy se laisse aller au récit d’événements bien mystérieux.
Quelques mois après son retour du Mont Athos et la sortie d’Un mois chez les hommes, Maryse Choisy reçut chez elle, dans son salon de la rue Vauvenargues, un certain docteur L… qui se disait ambassadeur de la République d’Athos. Il était chargé de délivrer un message des moines offusqués qu’elle ait parlé dans son ouvrage d’un pope et d’un novice pédérastes : les moines lui demandaient de démentir.

J’ai toujours aimé faire plaisir. Sur le champ j’envoyai aux journaux une note ainsi conçue :
Par erreur j’ai insinué dans mon reportage que les moines du mont Athos étaient homosexuels. J’ai dû voir avec des yeux de pécheresse une amitié innocente et purement charitable.

Le docteur L… fut ravi, il envoya à Maryse une gerbe de roses et elle l’invita à dîner, un soir au cours duquel il fit la cour à une amie de l’hôtesse.

Une semaine après le départ de L… pour la Grèce, des choses bizarres se passèrent rue Vauvenargues. Les armoires se mirent à craquer. Des bruits venus de nulle part coupaient les conversations. Les ampoules s’allumaient et s’éteignaient toutes seules. Des sonnettes marchaient sans que personne ne sonnât. Je fis venir l’électricien. Il tripota scrupuleusement tout ce qu’un électricien peut tripoter. Il ne trouva rien d’anormal. Lui parti, les sonnettes continuèrent de tinter. Dans les angles des murs soudain on entendait des respirations d’hommes. Le plus sinistre, c’était de voir les poignées bouger lentement, lentement… Les portes s’ouvraient et… personne n’entrait…
Devant mon bureau, mes chats miaulaient et mon chien, un malinois dont la mère était une vraie louve, mon chien se mettait à hurler, à trembler. Il en arrivait même à pisser de peur.
A cette époque habitaient avec moi un jeune secrétaire de dix-huit ans et un couple de domestiques. Tous étaient angoissés.
Les phénomènes se produisaient surtout les soirs de pleine lune. Mon cabinet de travail, mon salon, ma salle à manger semblaient être les épicentres. Chats et chiens se réfugiaient dans ma chambre à coucher. Les domestiques n’osaient pas quitter la cuisine. Mon secrétaire était le plus malheureux. Il ne savait où se tenir.
Un jour les cigarettes quittaient l’étui et montaient vers le plafond. Un autre jour mes tasses à thé s’envolaient et retombaient en morceaux. C’étaient des tasses Ming authentiques. Je les avais héritées de ma tante. J’avais la faiblesse d’y tenir. (Il ne m’en reste plus que quatre aujourd’hui.)
Des objets plus lourds décrivaient une courbe dans l’air. Nous en avions peur. Ils étaient sans méchanceté pourtant. Ils retombaient toujours à cinquante centimètres de tout être vivant : homme, femme, chien ou chat au poil hérissé.
Puis ce fut le tour du gros bureau, de la grande bibliothèque, trop lourde pour voler, de se soulever légèrement et de rouler sur le parquet. Les honorables voisins qui habitaient l’étage au-dessous se plaignirent à l’honorable Madame Concierge :
— Minuit, ça n’est tout de même pas une heure pour déménager les meubles !
Sans doute était-ce là une preuve. Ces phénomènes n’étaient pas dû à une hallucination collective. Les honorables Messieurs Voisins, l’honorable Madame Concierge ignoraient ce qui se passait chez moi les nuits de pleine lune. Je ne voulais pas les mettre au courant. Je craignais le ridicule.

Un jour qu’elle attendait une visite :

Avant l’heure fixée toutes les sonnettes se mirent à chanter, les meubles craquèrent. Les chats, le poil hérissé, se suspendirent aux rideaux. Le chien tout tremblant leva la patte. Ce qui ne bougea pas dans mon appartement, c’est que cela ne s’y trouvait pas. Je recommandai à mes domestiques :
— Vous direz à M. Durand que j’ai une grippe soudaine, que mon médecin me recommande le lit et que je ne pourrai voir personne pendant quinze jours. Vous serez très polis.
Après qu’eurent décru les pas de Durand, ma femme de chambre vint me voir. Elle pouvait à peine parler, tant elle frissonnait :
— C’était le diable.
Toujours chez moi la curiosité est la plus forte.
— Décrivez-le moi, Hélène. Comment est-il ?
Elle ne savait que dire :
— C’est le diable.
— Mais encore ?
— Il est noir. Il a des sourcils noirs, en accent circonflexe. Il a des yeux de flamme, tout étirés comme les Chinois. C’est le diable, je vous dis.
C’est tout ce que je pus en tirer. Elle et son mari me donnèrent leurs huit jours. Leurs nerfs étaient à bout.

 

Même si Maryse Choisy ne croyait pas alors au diable, elle préféra se protéger et demanda à l’archevêché de Paris de lui envoyer un exorciste.

L’exorciste arriva avec tout son arsenal de prières latines, de charbon de bois et de larmes d’encens contre Satan et ses pompes. C’était une belle cérémonie. L’Église m’appelait. Je songe à une lettre de Saint Augustin à Sainte Monique : « Que Dieu me sauve du péché… le plus tard possible. »
Le diable, ce malotru, fut chassé. Les phénomènes cessèrent. Je dormis pendant trois semaines. Je gardai des employés de maison (comme on ne disait pas encore) pendant un mois.
A la pleine lune qui suivit, tout recommença. Les armoires se remirent à danser, les lampes à cligner, les clochettes à sonner, les murs à respirer, les portes à s’ouvrir, les chats à hérisser le poil, le chien à mouiller les tapis. Derechef ma bonne me quitta.
L’archevêché semblait impuissant. Donc ce n’était pas le diable.
Pas le diable ? Alors qui ?
Les voyantes vinrent faire leur petit canter d’essai rue Vauvenargues. Les mages de Montparnasse apportaient leur myrrhe et leur intuition. Les abracadabras, les parchemins vierges, les médailles s’amoncelèrent. Vêtus de longues robes de lin, des sages barbus, on ne sait d’où venus, invoquèrent des archanges dont le nom se terminait en aël. Les phénomènes se moquaient de tout. ils n’attendaient même plus la pleine lune pour se produire.

Maryse eut à faire à Nice et confia son appartement à deux étudiants athées qui, face aux phénomènes, s’enfuirent. Revenue à Paris, elle consulta plusieurs personnes pour régler ce problème. Ce n’était pas un diable, ni un ange. Le docteur Eugène Osty, de l’Institut Métapsychique, émit alors une hypothèse : « Les phénomènes du poltergeist étaient dûs à quelque adolescent dont la force sexuelle refoulée s’extériorisait de cette manière un peu folle. » Mais le jeune secrétaire de Maryse avait fui et la pluie d’objets avait continué. C’est alors que la femme du professeur Masson-Oursel lui déclara :

— Je note que les pluies d’objets se produisent dans votre bureau où vous avez reçu l’ambassadeur du mont Athos, dans votre salle à manger où il a dîné, dans votre salon où il a bu l’apéritif. C’est là qu’il a déposé des « voults ». Il a tracé le chemin invisible entre Karyès et la rue Vauvenargues. Les respirations dans les murs, qui vous effraient tant, appartiennent au corps astral de vos tourmenteurs. Plus fréquents, vos phénomènes pendant les nuits lumineuses ? Pourquoi s’en étonner ? Les voyages en astral sont plus faciles pendant la pleine lune, parbleu !
J’étais plutôt surprise.
— Parce qu’ils sont coutumiers de ces plaisanteries, les bons moines. A l’égal des Tibétains les hésychastes sont très versés en haute magie. Ne m’avez-vous pas conté que les objets tombaient toujours à cinquante centimètres au moins d’un être vivant ? N’y a-t-il pas là un souci chrétien de ne pas blesser ? Charité de moine, non ? Ils ont voulu tout de même vous donner une leçon. Avouez que vous la méritiez.
— Que faire ?
Elle haussa les épaules :
— Vous l’avez bien vu : l’exorciste ne peut rien contre eux. Eux aussi sont d’Église. Eux aussi sont contre le diable. Ils sont plus puissants que vos mages de Montparnasse.
Après tout c’est moi qui les avait envahis chez eux. Fallait pas y aller ! Il ne me restait plus qu’à déménager.

*
*    *

Que penser de cette histoire ?
Elle semble assez importante pour avoir fourni le titre de ce second tome des mémoires : Sur le chemin de Dieu on rencontre d’abord le diable
Mais on doute : et si Maryse Choisy inventait consciemment, pour faire l’intéressante ? si elle n’avait jamais cru à la réalité de ces phénomènes mystérieux ? si ce n’était que la preuve que ses revues d’occultisme

Et puis, nous tombons sur cet article paru dans Paris Soir, le 15 mars 1931 :

 

Une maison hantée à Paris

Mme Maryse Choisy, qui fait beaucoup de bruit dans les lettres féminines, était accusée dernièrement par son propriétaire d’en faire encore davantage dans son appartement et d’y brûler trop d’encens.
Et Maryse Choisy s’est justifiée par la lettre suivante adressée à son accusateur :

« Monsieur,

» Je ne fais jamais de bruit chez moi, parce que, ou bien je travaille, ou bien je suis en voyage. Il y a des bruits dans mon appartement la nuit, même quand il est désert, parce que ledit appartement est hanté. J’ai quinze témoins au moins qui l’ont constaté. Je l’ai fait exorciser deux fois. Je n’y puis vraiment rien. Aux personnes qui se sont plaintes des bruits provenant de mon appartement, j’ai dit à plusieurs reprises : « Quand vous entendez du bruit, je vous en prie, montez, et vous verrez vous-mêmes, de vos propres yeux, comment les meubles y déménagent tout seuls. » Mais personne n’est jamais monté, parce que ceux qui se plaignent ont assez de courage pour se plaindre, mais ils n’en ont pas assez pour oser entrer dans un appartement hanté.
» Quant à la question d’encens, je considère que c’est une faveur pour vos locataires que de respirer une odeur aussi agréable que celle de l’encens plutôt que des émanations douteuses de cuisines. Parler d’épaisses fumées d’encens est fortement exagéré. Il suffirait de montrer le petit brûle-parfums minuscule dans lequel je brûle de l’encens pour que tous les techniciens du monde refusassent de croire à la légende « d’épaisses fumées ».
» Je brûle de l’encens d’église parce que c’est la seule façon de vivre tranquille dans un appartement hanté. Si les locataires veulent entendre moins de bruits, il faut bien qu’ils daignent supporter l’odeur de l’encens.
» Je considère donc cet incident comme clos. Si pour si peu de chose, vous désirez plaider, libre à vous. »

Ajoutons que Mme Maryse Choisy prétend que si son appartement est hanté, c’est que les moines du mont Athos, veulent se venger du reportage où elle les a mis en cause…
— Je leur ai donné pourtant cinq pour cent sur les bénéfices de mon livre ! s’étonne-t-elle.

N’est-ce pas drôle ?
Mais, au fait, Maryse Choisy est-elle vraiment allée au mont Athos ?

Maryse Choisy caricaturée par Ralph Soupault

Il est possible de mesurer la renommée de Maryse Choisy au début des années 1930 en considérant les dessins que Ralph Soupault — qui, s’il fricotait déjà avec les milieux de l’extrême-droite, n’avait pas encore donné, en dessin comme ailleurs, le pire dont il allait bientôt se révéler capable — fournissait au quotidien Comoedia.
Régulièrement, en une du journal, paraissait une bande du caricaturiste moquant plusieurs personnalités du monde des Lettres. Au moins quatre fois, Maryse Choisy y apparaît, presque toujours aux côtés de Joseph Delteil qu’elle aima — et cela défraya la chronique — au point de lui consacrer un ouvrage.

Le 25 décembre 1930, Ralph Soupault nous fait découvrir « Ce qu’ils ont trouvé dans leurs souliers » : c’est l’occasion de moquer le féminisme de Maryse Choisy.

Les autres caricaturés sont : Paul Reboux (un aspirateur à poussière), André Thérive (une panoplie très complète de populiste intégral), Pierre Mac Orlan (une panoplie de « bustiger légionnar »), André Gide (un traité élémentaire de morale et quelques coupures de journaux des 5 parties du monde relatant quelques curieux faits divers), Albert Londres (un billet pour le premier voyage interplanétaire), Géo London (un matériel complet véritable (véritable et authentique) de parfait gangster), Jean Cocteau (un téléphone supra-sensible permettant d’entendre la voix… divine) et Maurice Dekobra (une grammaire française bien complète, avec la manière de s’en servir).

Le 30 janvier 1931, le caricaturiste nous montre « Le second métier » que pourraient exercer quelques célébrités : Maryse Choisy tient évidemment (?) un bordel.

Les autres caricaturés sont : F.-T. Marinetti (cuisinier), Paul Reboux (chimiste), André Malraux (archéologue), Alfred et Raymonde Machard (épiciers d’art bibliophilique).

Le 19 juillet 1931, c’est « La distribution des prix au grand lycée des Lettres » : Maryse Choisy y fait encore les frais de son féminisme.

Les autres caricaturés sont : Henry de Montherlant (prix d’Excellence, de Travail, d’Assiduité), André Thérive (prix de Grammaire Française et Argotique), Paul Claudel (Prix de Français, Petit Nègre et Cha-ra-bia), Raymonde Machard (prix de Mathématiques spéciales et d’aptitude commerciale), André Malraux (prix d’Archéologie (section gréco-gothico-bouddhique), André Gide (prix de Morale et d’Éducation Sexuelle) et Paul Reboux (prix de Savoir-Vivre, Éducation et Bonnes Manières).

Enfin, le 18 février 1932, Ralph Soupault imagine « Un Cabinet éblouissant (si… elles étaient représentantes du peuple) » :

Les autres caricaturées sont : Titayna (à la Marine), Maud Loty (Guerre), Marie Laurencin (Instruction publique et Beaux-Arts), Marthe Hanau (Finances), Raymonde Machard (Commerce) et Louise Weiss (Affaires étrangères).