Ce que disent leurs mains : Robert de Flers

Article paru dans L’Intransigeant du 28 juillet 1925 :

CE QUE DISENT LEURS MAINS

M. ROBERT DE FLERS
de l’Académie française

La main de M. Robert de Flers présente cette combinaison lunaire-solarienne très rare et particulièrement fertile en manifestations artistiques, — trop fertile même par sa grande facilité et le danger qu’elle comporte d’éparpiller les forces nerveuses, danger mitigé dans le cas de M. de Flers par une intelligence subtile, souple, rapide. Là où tels progressent laborieusement et lentement à travers des discours savants et de longues argumentations, il, pénètre l’idée à la seule évocation d’un demi-mot, par la magie d’une conception de galop. Son esprit est mené par une soixante chevaux au frein d’une flexibilité variable. Dédaignant le syllogisme bourgeois, il procède toujours elliptiquement.
L’intuition des doigts lisses, la haine des détails des doigts courts et la fantaisie lunarienne le priveraient irrémédiablement de tout ordre matériel, si d’autre part une mémoire prodigieuse ne lui faisait retrouver tel objet égaré qu’aucune autre énergie que la sienne ne pourrait déterrer sous l’amas des paperasses.
M. de Flers est doué d’un pouce exceptionnel indiquant une volonté victorieuse qui marie la diplomatie à la promptitude — deux vertus paraissant au prime abord s’exclure — et qui sauve ce qu’une constitution lunarienne pourrait avoir de paresseux. Ses colères rares mais profondes et tenaces, les doutes et les mélancolies qui parfois assombrissent sa nature plutôt optimiste, les désappointements d’une sensibilité rêveuse, riche, délicate et exigeante, tous ils sont maîtrisés par ce vouloir puissant.
La forme conico-spatulée des doigts racés indique chez. M. de Flers une lutte entre l’activité et la contemplation. Jupiter lui confère l’ambition, les phalanges épaisses, l’amour du confort ; et l’éminence mercurienne jointe à un auriculaire aux tendances pointues révèle un esprit très parisien et une habileté presque trop habile.
Mais le leitmotiv de sa main est cette merveilleuse imagination de lunarien nuancé du solarien, imagination génératrice des œuvres d’art et des tourments intellectuels. M. de Flers se complaît dans une vie intérieure d’une intensité rarement soupçonnée. Il se désillusionne plus aisément encore qu’il ne s’éprend. Le monde extérieur n’est pour lui qu’un truchement de ses rêves. La réalité, fût-elle si belle, demeure pour lui au-dessous de la fastueuse magnificence de sa fantaisie et ce qu’il a cru voir l’empêche souvent d’aimer ce qu’il voit.

Maryse Choisy