Maryse et les fantômes

En pages 228-234 du second tome de ses mémoires, Maryse Choisy se laisse aller au récit d’événements bien mystérieux.
Quelques mois après son retour du Mont Athos et la sortie d’Un mois chez les hommes, Maryse Choisy reçut chez elle, dans son salon de la rue Vauvenargues, un certain docteur L… qui se disait ambassadeur de la République d’Athos. Il était chargé de délivrer un message des moines offusqués qu’elle ait parlé dans son ouvrage d’un pope et d’un novice pédérastes : les moines lui demandaient de démentir.

J’ai toujours aimé faire plaisir. Sur le champ j’envoyai aux journaux une note ainsi conçue :
Par erreur j’ai insinué dans mon reportage que les moines du mont Athos étaient homosexuels. J’ai dû voir avec des yeux de pécheresse une amitié innocente et purement charitable.

Le docteur L… fut ravi, il envoya à Maryse une gerbe de roses et elle l’invita à dîner, un soir au cours duquel il fit la cour à une amie de l’hôtesse.

Une semaine après le départ de L… pour la Grèce, des choses bizarres se passèrent rue Vauvenargues. Les armoires se mirent à craquer. Des bruits venus de nulle part coupaient les conversations. Les ampoules s’allumaient et s’éteignaient toutes seules. Des sonnettes marchaient sans que personne ne sonnât. Je fis venir l’électricien. Il tripota scrupuleusement tout ce qu’un électricien peut tripoter. Il ne trouva rien d’anormal. Lui parti, les sonnettes continuèrent de tinter. Dans les angles des murs soudain on entendait des respirations d’hommes. Le plus sinistre, c’était de voir les poignées bouger lentement, lentement… Les portes s’ouvraient et… personne n’entrait…
Devant mon bureau, mes chats miaulaient et mon chien, un malinois dont la mère était une vraie louve, mon chien se mettait à hurler, à trembler. Il en arrivait même à pisser de peur.
A cette époque habitaient avec moi un jeune secrétaire de dix-huit ans et un couple de domestiques. Tous étaient angoissés.
Les phénomènes se produisaient surtout les soirs de pleine lune. Mon cabinet de travail, mon salon, ma salle à manger semblaient être les épicentres. Chats et chiens se réfugiaient dans ma chambre à coucher. Les domestiques n’osaient pas quitter la cuisine. Mon secrétaire était le plus malheureux. Il ne savait où se tenir.
Un jour les cigarettes quittaient l’étui et montaient vers le plafond. Un autre jour mes tasses à thé s’envolaient et retombaient en morceaux. C’étaient des tasses Ming authentiques. Je les avais héritées de ma tante. J’avais la faiblesse d’y tenir. (Il ne m’en reste plus que quatre aujourd’hui.)
Des objets plus lourds décrivaient une courbe dans l’air. Nous en avions peur. Ils étaient sans méchanceté pourtant. Ils retombaient toujours à cinquante centimètres de tout être vivant : homme, femme, chien ou chat au poil hérissé.
Puis ce fut le tour du gros bureau, de la grande bibliothèque, trop lourde pour voler, de se soulever légèrement et de rouler sur le parquet. Les honorables voisins qui habitaient l’étage au-dessous se plaignirent à l’honorable Madame Concierge :
— Minuit, ça n’est tout de même pas une heure pour déménager les meubles !
Sans doute était-ce là une preuve. Ces phénomènes n’étaient pas dû à une hallucination collective. Les honorables Messieurs Voisins, l’honorable Madame Concierge ignoraient ce qui se passait chez moi les nuits de pleine lune. Je ne voulais pas les mettre au courant. Je craignais le ridicule.

Un jour qu’elle attendait une visite :

Avant l’heure fixée toutes les sonnettes se mirent à chanter, les meubles craquèrent. Les chats, le poil hérissé, se suspendirent aux rideaux. Le chien tout tremblant leva la patte. Ce qui ne bougea pas dans mon appartement, c’est que cela ne s’y trouvait pas. Je recommandai à mes domestiques :
— Vous direz à M. Durand que j’ai une grippe soudaine, que mon médecin me recommande le lit et que je ne pourrai voir personne pendant quinze jours. Vous serez très polis.
Après qu’eurent décru les pas de Durand, ma femme de chambre vint me voir. Elle pouvait à peine parler, tant elle frissonnait :
— C’était le diable.
Toujours chez moi la curiosité est la plus forte.
— Décrivez-le moi, Hélène. Comment est-il ?
Elle ne savait que dire :
— C’est le diable.
— Mais encore ?
— Il est noir. Il a des sourcils noirs, en accent circonflexe. Il a des yeux de flamme, tout étirés comme les Chinois. C’est le diable, je vous dis.
C’est tout ce que je pus en tirer. Elle et son mari me donnèrent leurs huit jours. Leurs nerfs étaient à bout.

 

Même si Maryse Choisy ne croyait pas alors au diable, elle préféra se protéger et demanda à l’archevêché de Paris de lui envoyer un exorciste.

L’exorciste arriva avec tout son arsenal de prières latines, de charbon de bois et de larmes d’encens contre Satan et ses pompes. C’était une belle cérémonie. L’Église m’appelait. Je songe à une lettre de Saint Augustin à Sainte Monique : « Que Dieu me sauve du péché… le plus tard possible. »
Le diable, ce malotru, fut chassé. Les phénomènes cessèrent. Je dormis pendant trois semaines. Je gardai des employés de maison (comme on ne disait pas encore) pendant un mois.
A la pleine lune qui suivit, tout recommença. Les armoires se remirent à danser, les lampes à cligner, les clochettes à sonner, les murs à respirer, les portes à s’ouvrir, les chats à hérisser le poil, le chien à mouiller les tapis. Derechef ma bonne me quitta.
L’archevêché semblait impuissant. Donc ce n’était pas le diable.
Pas le diable ? Alors qui ?
Les voyantes vinrent faire leur petit canter d’essai rue Vauvenargues. Les mages de Montparnasse apportaient leur myrrhe et leur intuition. Les abracadabras, les parchemins vierges, les médailles s’amoncelèrent. Vêtus de longues robes de lin, des sages barbus, on ne sait d’où venus, invoquèrent des archanges dont le nom se terminait en aël. Les phénomènes se moquaient de tout. ils n’attendaient même plus la pleine lune pour se produire.

Maryse eut à faire à Nice et confia son appartement à deux étudiants athées qui, face aux phénomènes, s’enfuirent. Revenue à Paris, elle consulta plusieurs personnes pour régler ce problème. Ce n’était pas un diable, ni un ange. Le docteur Eugène Osty, de l’Institut Métapsychique, émit alors une hypothèse : « Les phénomènes du poltergeist étaient dûs à quelque adolescent dont la force sexuelle refoulée s’extériorisait de cette manière un peu folle. » Mais le jeune secrétaire de Maryse avait fui et la pluie d’objets avait continué. C’est alors que la femme du professeur Masson-Oursel lui déclara :

— Je note que les pluies d’objets se produisent dans votre bureau où vous avez reçu l’ambassadeur du mont Athos, dans votre salle à manger où il a dîné, dans votre salon où il a bu l’apéritif. C’est là qu’il a déposé des « voults ». Il a tracé le chemin invisible entre Karyès et la rue Vauvenargues. Les respirations dans les murs, qui vous effraient tant, appartiennent au corps astral de vos tourmenteurs. Plus fréquents, vos phénomènes pendant les nuits lumineuses ? Pourquoi s’en étonner ? Les voyages en astral sont plus faciles pendant la pleine lune, parbleu !
J’étais plutôt surprise.
— Parce qu’ils sont coutumiers de ces plaisanteries, les bons moines. A l’égal des Tibétains les hésychastes sont très versés en haute magie. Ne m’avez-vous pas conté que les objets tombaient toujours à cinquante centimètres au moins d’un être vivant ? N’y a-t-il pas là un souci chrétien de ne pas blesser ? Charité de moine, non ? Ils ont voulu tout de même vous donner une leçon. Avouez que vous la méritiez.
— Que faire ?
Elle haussa les épaules :
— Vous l’avez bien vu : l’exorciste ne peut rien contre eux. Eux aussi sont d’Église. Eux aussi sont contre le diable. Ils sont plus puissants que vos mages de Montparnasse.
Après tout c’est moi qui les avait envahis chez eux. Fallait pas y aller ! Il ne me restait plus qu’à déménager.

*
*    *

Que penser de cette histoire ?
Elle semble assez importante pour avoir fourni le titre de ce second tome des mémoires : Sur le chemin de Dieu on rencontre d’abord le diable
Mais on doute : et si Maryse Choisy inventait consciemment, pour faire l’intéressante ? si elle n’avait jamais cru à la réalité de ces phénomènes mystérieux ? si ce n’était que la preuve que ses revues d’occultisme

Et puis, nous tombons sur cet article paru dans Paris Soir, le 15 mars 1931 :

 

Une maison hantée à Paris

Mme Maryse Choisy, qui fait beaucoup de bruit dans les lettres féminines, était accusée dernièrement par son propriétaire d’en faire encore davantage dans son appartement et d’y brûler trop d’encens.
Et Maryse Choisy s’est justifiée par la lettre suivante adressée à son accusateur :

« Monsieur,

» Je ne fais jamais de bruit chez moi, parce que, ou bien je travaille, ou bien je suis en voyage. Il y a des bruits dans mon appartement la nuit, même quand il est désert, parce que ledit appartement est hanté. J’ai quinze témoins au moins qui l’ont constaté. Je l’ai fait exorciser deux fois. Je n’y puis vraiment rien. Aux personnes qui se sont plaintes des bruits provenant de mon appartement, j’ai dit à plusieurs reprises : « Quand vous entendez du bruit, je vous en prie, montez, et vous verrez vous-mêmes, de vos propres yeux, comment les meubles y déménagent tout seuls. » Mais personne n’est jamais monté, parce que ceux qui se plaignent ont assez de courage pour se plaindre, mais ils n’en ont pas assez pour oser entrer dans un appartement hanté.
» Quant à la question d’encens, je considère que c’est une faveur pour vos locataires que de respirer une odeur aussi agréable que celle de l’encens plutôt que des émanations douteuses de cuisines. Parler d’épaisses fumées d’encens est fortement exagéré. Il suffirait de montrer le petit brûle-parfums minuscule dans lequel je brûle de l’encens pour que tous les techniciens du monde refusassent de croire à la légende « d’épaisses fumées ».
» Je brûle de l’encens d’église parce que c’est la seule façon de vivre tranquille dans un appartement hanté. Si les locataires veulent entendre moins de bruits, il faut bien qu’ils daignent supporter l’odeur de l’encens.
» Je considère donc cet incident comme clos. Si pour si peu de chose, vous désirez plaider, libre à vous. »

Ajoutons que Mme Maryse Choisy prétend que si son appartement est hanté, c’est que les moines du mont Athos, veulent se venger du reportage où elle les a mis en cause…
— Je leur ai donné pourtant cinq pour cent sur les bénéfices de mon livre ! s’étonne-t-elle.

N’est-ce pas drôle ?
Mais, au fait, Maryse Choisy est-elle vraiment allée au mont Athos ?

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