Ce que disent leurs mains : Luigi Pirandello

Article paru dans L’Intransigeant du 2 août 1925 :

CE QUE DISENT LEURS MAINS

M. LUIGI PIRANDELLO

La main noueuse et philosophique de M. Pirandello n’est pas une main. Ce sont trente-six mains stylisées et synthétisées en une seule. Pour employer la célèbre phraséologie de M. Jules de Gaultier, M. Pirandello est un type pur de « Bovaryqué ».
Il porte en lui mille êtres, mille vérités, mille tendances, mille nostalgies, mille virtualités qui s’entrechoquent, se combattent, se complètent et s’amalgament.
Comment décrire sa ligne de tête avec ses ramifications multiples et qui dénote une intelligence souple et subtile, si souple et si subtile qu’elle sympathise avec les théories les plus contradictoires, incarne les personnages les plus divers et adopte si naturellement la couleur de tous les esprits qu’il lui devient impossible, au milieu de son envol illimité, de s’enfermer dans les limites étroites d’une opinion.
Comment décrire sa ligne de cœur symptomatique d’une sensibilité qui vibre au stimulus le plus infinitésimal, qui compatit avec toutes les misères, qui s’affole de la moindre parole désagréable, qui traverse les volcans sans se brûler, qui frise avec curiosité la folie, qui freine toujours à temps avec un bon sens parfait et une juste évaluation des proportions, et qui, cependant,
par delà les susceptibilités, les douleurs et les joies, par delà le bien et le mal, demeure avant tout spectaculaire. Une véritable sensibilité de philosophe et de critique, critique même quelquefois aux dépens du talent créateur.
Comment décrire
surtout son pouce, long et fort, et néanmoins aux articulations si flexibles, qu’il parait dépourvu d’ossature, ce pouce qui connaît la grande route et tous les petits sentiers de la volonté réalisatrice, de la plus puissante des volontés diplomatiques et de la plus psychologique aussi ; ce pouce qui n’ignore aucune faiblesse ni aucune arme de son adversaire ?
Qu’on ajoute à cela les germes de toutes les vertus et de tous les défauts, des conflits intimes entre l’activité et la rêverie, entre le scepticisme et la mysticité, une grande prodigalité, une flamme intérieure intense, une énergie calme, et l’on aura peut-être quelque idée de cette main éclectique où toutes les propensions infinies et contradictoires se trouvent dominées par le sens critique et spectaculaire.

Maryse Choisy

Ce que disent leurs mains : Robert de Flers

Article paru dans L’Intransigeant du 28 juillet 1925 :

CE QUE DISENT LEURS MAINS

M. ROBERT DE FLERS
de l’Académie française

La main de M. Robert de Flers présente cette combinaison lunaire-solarienne très rare et particulièrement fertile en manifestations artistiques, — trop fertile même par sa grande facilité et le danger qu’elle comporte d’éparpiller les forces nerveuses, danger mitigé dans le cas de M. de Flers par une intelligence subtile, souple, rapide. Là où tels progressent laborieusement et lentement à travers des discours savants et de longues argumentations, il, pénètre l’idée à la seule évocation d’un demi-mot, par la magie d’une conception de galop. Son esprit est mené par une soixante chevaux au frein d’une flexibilité variable. Dédaignant le syllogisme bourgeois, il procède toujours elliptiquement.
L’intuition des doigts lisses, la haine des détails des doigts courts et la fantaisie lunarienne le priveraient irrémédiablement de tout ordre matériel, si d’autre part une mémoire prodigieuse ne lui faisait retrouver tel objet égaré qu’aucune autre énergie que la sienne ne pourrait déterrer sous l’amas des paperasses.
M. de Flers est doué d’un pouce exceptionnel indiquant une volonté victorieuse qui marie la diplomatie à la promptitude — deux vertus paraissant au prime abord s’exclure — et qui sauve ce qu’une constitution lunarienne pourrait avoir de paresseux. Ses colères rares mais profondes et tenaces, les doutes et les mélancolies qui parfois assombrissent sa nature plutôt optimiste, les désappointements d’une sensibilité rêveuse, riche, délicate et exigeante, tous ils sont maîtrisés par ce vouloir puissant.
La forme conico-spatulée des doigts racés indique chez. M. de Flers une lutte entre l’activité et la contemplation. Jupiter lui confère l’ambition, les phalanges épaisses, l’amour du confort ; et l’éminence mercurienne jointe à un auriculaire aux tendances pointues révèle un esprit très parisien et une habileté presque trop habile.
Mais le leitmotiv de sa main est cette merveilleuse imagination de lunarien nuancé du solarien, imagination génératrice des œuvres d’art et des tourments intellectuels. M. de Flers se complaît dans une vie intérieure d’une intensité rarement soupçonnée. Il se désillusionne plus aisément encore qu’il ne s’éprend. Le monde extérieur n’est pour lui qu’un truchement de ses rêves. La réalité, fût-elle si belle, demeure pour lui au-dessous de la fastueuse magnificence de sa fantaisie et ce qu’il a cru voir l’empêche souvent d’aimer ce qu’il voit.

Maryse Choisy

Ce que disent leurs mains : Marcel Prévost

Article paru dans L’Intransigeant du 23 juillet 1925 :

CE QUE DISENT LEURS MAINS

M. MARCEL PRÉVOST
de l’Académie française

La véritable puissance est toujours calme. Lorsqu’on se sent fort, c’est un luxe que se permettre d’être doux. La main de M. Marcel Prévost est un exemple de plus à l’appui de ce truisme.
Le trait caractéristique de cette paume signée de Mars et de Lune, et pourvue d’un pouce magnifique, est un vouloir diplomatique et persévérant qui ne fléchit jamais. Main de fer dans un gant de velours, elle est consciente de sa force, et pour cela même, malgré une grande indépendance intellectuelle et volitive, elle témoigne une préférence marquée pour les « solutions huilée » comme le dit si bien l’auteur dans Sa maîtresse et moi.
Tout s’y trouve admirablement maîtrisé après beaucoup de peines il est vrai, puisque c’est une main très riche au point de vue passionnel. Ses colères, auxquelles il fut prédisposé dès l’enfance, M. Prévost ne les exprime que s’il le juge utile et convenable… Son courage est défensif plutôt qu’agressif. Il serait prodigue naturellement, la réflexion et l’expérience l’ont rendu simplement compatissant et généreux, de même qu’ils lui ont fait refouler la susceptibilité excessive dont le ciel l’a doté. Le doute – ce doute presque morbide qui doute de tout et voire de lui-même – il s’y abandonne quelquefois sans cependant se laisser jamais commander par lui. Sa sensibilité absolue et exigeante dans ses affections, vibrante au moindre stimulus comme un violon de Crémone, est néanmoins, dans ses manifestations extérieures, réservée et orgueilleuse. Ses joies et douleurs, ses sympathies et ses haines, il les cèle même à qui les inspire, fidèle à la modération aristocratique qui préserve du ridicule.
D’autre part, le nœud philosophique, ornant des doigts aux tendances pointues, lui donne cet esprit mathématique et positiviste qui, chez lui, doit lutter avec des affinités mystiques.
Son intelligence souple, éternellement jeune, est ouverte à toutes les idées nouvelles ; et dans cette main il est un fait digne de remarque : c’est que les principes de M. Marcel Prévost, sévères à l’origine, ont évolué et évolueront continuellement, même à un âge où la plupart des hommes cristallisent leur bagage intellectuel et affectif et s’ensevelissent dans la quiétude de leurs vieux préjugés.
Mais sa faculté dominante qui, elle, ne peut être ni endiguée ni arrêtée dans son cours normal par nul effort, c’est l’imagination ; une imagination fastueuse, élégante, curieuse, universelle, qui s’exerce dans tous les domaines et dont l’énergie cosmique est capable de révolutionner ciel et terre en une heure. Il s’en garderait toutefois, car il respecte la sagesse populaire.

Maryse Choisy

Ce que disent leurs mains : Léon Bérard

Article paru dans L’Intransigeant du 14 juillet 1925 :

Nous publions aujourd’hui le premier article d’une série due à la plume de Mme Maryse Choisy, qui ne manquera pas de susciter une certaine curiosité, sur les mains de quelques-uns de nos plus notoires contemporains.
Française, l’auteur de ces pénétrants portraits a fait ses études de philosophie à Cambridge et a passé, à 21 ans, sa thèse de doctorat. Elle s’est d’abord spécialisée dans la publication d’un certain nombre d’études philosophiques et de science pure qui ont été fort remarquées. Elle prépare un traité de chirologie, pour lequel M. Jules de Gaultier a écrit une préface.
Elle a soumis ses travaux sur des centaines de mains à de minutieuses vérifications scientifiques. Il ne s’agit donc pas ici de fantaisies, mais d’études expérimentales aussi serrées qu’il est possible.

CE QUE DISENT LEURS MAINS

LÉON BERARD

Vénus et Mars, la contemplation esthétique et l’activité se disputent à titre égal la main de M. Bérard. Et, comme, d’autre part, le mont lunaire prédomine chez lui, son imagination est toute-puissante et lui fait désirer un idéal différent de la réalité présente. Au milieu de ses préoccupations artistiques, il souhaite la fièvre de l’action, et lorsqu’il évolue en pleine activité énergique, il rêve d’un nirvâna en beauté.
Sa main présente cette particularité curieuse et imprévue : c’est, à notre connaissance, l’unique main d’homme politique, peut-être même d’homme civilisé qui atteint les honneurs et la célébrité – et qui témoigne cependant d’une préférence marquée par le pouce droit et fier pour la volonté directe plutôt que pour les détours diplomatiques. Non pas que ces derniers lui soient impossibles, – puisque M. Bérard s’adapte facilement aux personnes et nullement, il est vrai, aux circonstances, – mais la ligne indirecte lui semble ennuyeuse et superflue.
Une susceptibilité intense, mais toujours soigneusement refoulée, une sensibilité orgueilleuse et délicate qui exige plus d’affection qu’une créature terrestre n’en peut donner, une grande indépendance d’esprit et de vouloir, une intelligence subtile, une rêverie fastueuse, une préoccupation inquiète des problèmes philosophiques, une énergie calme et cependant variable dans ses manifestations, tels sont les traits de cette double nature d’artiste et d’homme politique.

Maryse Choisy